"Si Voltaire vivait encore aujourd'hui, il exprimerait sûrement la même opinion. Les traductions de 'Roland' faites après son temps n'ont guère plus de valeur que celles de son époque. Si les dernières ont parfois été un peu plus méticuleuses en termes de précision, elles sont toutes terriblement littérales. Aucune n'a cherché à capturer la vivacité des couleurs, la naïveté sophistiquée, l'enthousiasme, le flair que l'Arioste a distribués si généreusement dans son œuvre. En les lisant, on a l'impression de voir un papillon dont les ailes, prises entre les doigts d'un paysan, auraient perdu leurs couleurs. Cependant, je ne pense pas qu'il soit impossible aujourd'hui de réaliser une bonne traduction du chef d'œuvre de l'Arioste. La langue française du XIXe siècle, telle que l'ont façonnée J.-J. Rousseau, Chateaubriand, George Sand, Victor Hugo, est un outil assez flexible, assez riche, assez complet pour capter toutes les nuances d'une langue étrangère, surtout l'italien, avec lequel elle partage tant de similitudes d'origine. Ainsi, je n'ai pas hésité à traduire 'Roland Furieux' après tant d'autres. Ai-je réussi à faire mieux que mes prédécesseurs ? Ce n'est pas à moi d'en juger. Ce que je peux dire, c'est que je me suis efforcé de faire mieux. Quoi qu'il en soit, la manière bienveillante dont le public a accueilli mes traductions de la 'Divine Comédie' et du 'Décaméron', me fait espérer qu'il appréciera, encore une fois, les efforts que j'ai faits pour lui présenter, dans toute son authenticité, l'un des chefs-d'œuvre et, selon certains dont Voltaire, le chef-d'œuvre de la poésie italienne. Francisque REYNARD. Paris, 30 octobre 1879.