Je ne sais pas, Flavien, si mes hypothèses seront aussi fausses aujourd'hui qu'elles l'étaient lorsque j'ai couronné Eudoxie, mais le règne de ces éminentes personnes ne sera ni long ni heureux. La complaisance de Théodose et le manque d'expérience de l'impératrice éveillent ma pitié. Je la vois déjà se précipiter à consulter ses livres à la moindre circonstance imprévue. Mais mon père, ses livres n'ont pas été écrits pour notre époque et si son jugement n’est pas lucide, ce qui était glorieux pour Alexandre sera honteux pour Théodose, ce qui le faisait être aimé le fera être haï, et ce qui le rendait redoutable le rendra faible. Le trône sur lequel elle se trouve aujourd'hui est si puissant que je crains qu'elle n'ait pas une vision assez claire pour voir encore la cabane où elle habitait autrefois. J’ai peur qu'elle s'aveugle et qu'en prenant les rênes de l'État après que je les lui ai concédés, elle commette une grosse erreur. Quant à moi, la puissance ne m'a jamais aveuglée. Je suis née dans la soie, mon enfance s'est déroulée sur le trône, et la première chose que j'ai apprise a été de régner, sur les autres et sur moi-même. Le sage Anthémius, en m'enseignant la politique que j'ai pratiquée avec succès depuis, m’a dit un jour qu'il fallait toujours se préparer à subir ce que l'on infligeait aux autres pour ne jamais être surpris par l'instabilité du destin, et qu’il ne fallait jamais être victorieux sans se préparer à subir une même défaite que ses ennemis si le destin le voulait. Ainsi, Flavien, je ne devrais pas être surprise si après avoir en quelque sorte exilé l'impératrice en Palestine, elle me renvoie aujourd'hui dans la solitude. La douceur qu'elle y trouve explique sans aucun doute sa volonté de me remplacer, et c'est par ingratitude qu'elle souhaite occuper la place que j'occupais. Lorsqu'elle est venue se jeter à mes pieds, et pour des raisons qui seraient trop longues à développer, j'ai pris la décision de faire d'elle une impératrice. Je pensais que cette personne qui se contentait d'une simple cabane comme richesse serait infiniment comblée de se voir régner dans le cœur de Théodose, élevée sur un trône sur lequel elle n'osait même pas lever les yeux. Cependant, les choses ne se sont pas passées ainsi, et celle qui ne demandait qu'une modeste cabane pour trouver le bonheur ne le trouve pas dans un grand et somptueux palais si elle ne peut y être seule et si elle ne peut en chasser celle qui lui en a ouvert les portes. Il est vrai qu'on peut dire pour sa défense qu'elle ne croit pas que c'est de ma main qu'elle a reçu la couronne qu'elle porte. Le présage que son père lui a partagé avant de mourir, qu'elle serait plus riche que ses frères, la persuade que cette couronne est tombée du ciel pour atterrir sur sa tête. Elle pense que l'influence des astres a contribué à son bonheur et que je n'ai fait que ce que je ne pouvais pas empêcher. Elle croit que j'ai été contrainte par la constellation sous laquelle elle est née de faire d'elle une impératrice d'Orient et, s’imaginant ne devoir son bonheur qu'aux étoiles, elle pense être suffisamment reconnaissante lorsqu'elle lève simplement les yeux vers le ciel sans me regarder. Quant à moi, Flavien, je n'ai jamais cru en tous ces miracles que l'on m'a racontés concernant l'astrologie judiciaire. Je sais à quel point cette science est incertaine, à quel point ses prédictions sont confuses et douteuses et à quel point elles sont inutiles. Je sais donc bien que je n’ai pas été contrainte de couronner Eudoxie. 100