Dès que ses troupes ont eu le dessous lors de la bataille de Pharsale, au lieu de les encourager en combattant à leur côté, Pompée s’est retiré dans sa tente, presque sans savoir ce qu'il se disait. Voyant que les choses se détérioraient encore pour lui, que ses retranchements étaient forcés et que César s'approchait, il s’est exclamé, effrayé : « Comment, même dans notre propre camp ! » Après avoir prononcé ces mots, il s’est enfui une seconde fois, abandonnant tous ceux qui restaient de son parti. Il aurait pourtant été plus honorable pour lui de mourir par les armes de César que par l'épée du traître Septimius, qui avait autrefois servi sous ses ordres. Mais étant donné que cet homme portait dans son cœur la haine, le remords, la honte d'être vaincu et le désir de pouvoir, il n'est pas étonnant que dans l'espoir de régner, il ait finalement perdu la raison. Mais après avoir reconnu que César savait l'art de vaincre, voyons, Lépide, s'il a bien su utiliser la victoire, s'il a été inhumain ou clément, s'il s’est montré juste ou austère, s'il a été tyran ou citoyen romain. Dès que le champ de bataille lui a été acquis et que l'ardeur qu'il avait à combattre s’est adoucie, il a vu autour de lui le grand nombre de soldats morts qui l'entouraient, et il a versé autant de larmes qu'il leur avait fait verser de sang. « Ô dieux ! s’est-il écrié en pleurant. Vous savez qu'ils l'ont voulu et qu'ils m'ont contraint d'être leur vainqueur ! » Car César, après avoir remporté tant de victoires, aurait sans aucun doute été critiqué s'il avait abandonné son armée. Tout autre vainqueur que César aurait versé des larmes de joie après avoir gagné la bataille, mais pour lui, il ne pouvait se réjouir de sa victoire, car elle avait coûté la vie à certains de ses concitoyens. Crois-moi, Lépide, les tyrans ne pleurent pas leurs ennemis, la clémence et la compassion sont des sentiments qu'ils ne connaissent pas. Cependant, tu sais que César a pardonné à presque tous les siens. Il a même pris soin de chercher le traître qui lui ôtera la vie plus tard, et lorsque Brutus s’est rendu à lui, il l’a traité comme son propre fils. Hélas, il me semble revoir mon César aller de groupe en groupe pour demander des nouvelles de Brutus, fouiller parmi les morts s'il y en avait un capable d'être encore secouru, et faire tout son possible pour sauver celui qui lui plantera un poignard dans la poitrine. Est-il possible que César ait pu faire un tel choix ? Qu'entre tous les Romains, il ait plus aimé son assassin que tous les autres ? Et les dieux, qui ont manifesté un intérêt si particulier pour sa vie, ne l’ont-ils pas averti que celui qu'il aimait plus que tout serait le plus cruel envers lui ? Mais il n'est pas encore temps de parler de l'ingratitude de Brutus. La clémence et la bonté de César me fournissent une matière trop belle pour l'abandonner si rapidement. Et pour rendre le crime de ses assassins aussi horrible qu'il l'est, il faut mettre en évidence ses qualités avec tout l'éclat qu'elles avaient. Les tyrans ont parfois mis la tête de leurs ennemis à prix, ils ont promis de pardonner tous les crimes de ceux qui la leur apporteraient, et lorsqu'ils ont été satisfaits, ils ont accueilli ce présent lugubre avec joie. Mais César n'a pas agi ainsi. Il n'a pas voulu voir celle de Pompée, il l’a amèrement pleurée, il a méprisé celui qui la lui avait ramenée, l'obligeant à fuir pour sauver sa vie. 110