Pour ma part, je trouve cette action plus glorieuse pour César que d'avoir vaincu Pompée, car il a été accompagné pour combattre, mais il était seul à pleurer son ennemi. Par ailleurs, il a clairement montré qu'il ne considérait pas Pompée comme un ennemi personnel, mais comme celui de la République. Non seulement il a pardonné à tous ceux de son camp qui voulaient se rendre, mais il a également pris particulièrement soin des amis de Pompée, témoignant ainsi qu'il ne haïssait pas leur personne, mais qu'il avait simplement voulu arrêter leurs projets injustes et nuisibles à la République. Un autre que César, après la victoire, aurait pensé à sa propre sécurité, aurait exilé certains, en aurait fait mourir d'autres et se serait détourné du reste. Mais lui, il a pensé à recueillir les naufragés du projet de Pompée plutôt que se protéger. On aurait dit que c'était son armée qui avait été dispersée par la défaite tellement il restait à cet endroit pour rassembler les troupes. Il a témoigné de tant de douceur et de bonté envers ceux qui ont changé de camp en se ralliaient sous ses étendards. Il a même écrit à Rome que le fruit le plus doux qu'il récoltait de la victoire était de sauver chaque jour la vie de certains de ses citoyens. Lépide, les tyrans ne parlent pas ainsi ! Ensuite, pour justifier la franchise de ses intentions et prouver que sa victoire n'était pas un caprice du destin, mais l'accomplissement de la volonté des dieux, il n’a pas cessé d'être victorieux dans toutes les autres initiatives qu'il a entreprises. Les guerres d'Égypte et d'Arménie, au sujet desquelles il a écrit à Rome qu'il était venu, qu'il avait vu et qu'il avait vaincu, en témoignent suffisamment. Puis, en une seule journée, il s’est emparé de trois camps ennemis, a tué cinquante mille hommes et n’a perdu que cinquante soldats. À ton avis, Lépide, était-ce le bras de César qui combattait ainsi, ou plutôt celui des dieux ? Cette victoire ne l’a pas rendu impitoyable pour autant. Lorsqu'on lui a annoncé que Caton s'était donné la mort de sa propre main, il s’est écrié : « Ô Caton, la porte de la lamentation s'ouvre pour moi à ta mort, puisque tu m'as privé de l’occasion de te sauver la vie. » Certains affirmeront peut-être que si Caton avait vécu, César n'aurait pas fait ce qu'il disait, mais il est facile d'imaginer que celui qui avait pardonné à Brutus et à Cicéron, qui avait combattu aux côtés de Pompée, aurait également pardonné à Caton. Mais, Lépide, je ne veux pas que l'on juge César à travers ce que je connais de lui, je ne veux pas que l'on juge César selon ce que disent ses amis. Je veux simplement qu’on le juge par les honneurs que tous les Romains lui ont rendus, pendant sa vie et après sa mort. La construction du temple de la clémence qu’on lui a érigé à une justification valide, car il n'y a jamais eu de vainqueur qui ait aussi parfaitement pratiqué cette qualité dans la victoire. Mais dis-moi, Lépide, comment est-il possible que ces Romains qui depuis la fin de la guerre ne peuvent reprocher à César aucun acte de souveraineté suprême, comment est-il possible que ces mêmes hommes qui ont bâti ce temple de la clémence en reconnaissance de sa bonté aient pu l'appeler tyran ? Dans l'histoire, on peut trouver des exemples d'arcs de triomphe érigés par des tyrans pour eux-mêmes. Grâce à leur violence et leurs ordres, leurs statues étaient même placées sur les autels. 111