Ah, Lépide, pour parler franchement, ce sont les amis, les flatteurs et les ennemis de César qui, tous ensemble, l'ont écrasé de couronnes de fleurs qu'ils ont jetées sur lui. Les premiers par excès d'affection, les seconds par désir de plaire et de s'enrichir, et les autres afin d’offrir un prétexte au peuple de critiquer César et de donner une apparence de bienveillance à leur complot contre lui. Mais dis-moi, Lépide, que pouvait faire d'autre César que refuser les honneurs qui lui étaient offerts ? D'ailleurs, s'il avait voulu être roi, cela aurait été totalement possible. Le même bras qui lui avait permis de conquérir tant de pays et remporter tant de victoires aurait assuré son empire. Il était bien conscient des réalités du monde pour savoir qu'il ne pouvait pas accéder au trône par la douceur et le consentement de tous les Romains. Il savait sans aucun doute qu'on arrache les couronnes, qu’on ne les accepte pas volontairement. S'il avait eu l'intention de se faire roi, il aurait utilisé la force et non la douceur. La Gaule lui aurait fourni une armée suffisamment puissante pour cela. Après tout, avec cinq mille soldats à pied et trois cents cavaliers, il avait fait fuir Pompée et s'était rendu maître de toute l'Italie. Après la bataille de Pharsale, il n'aurait pas été plus difficile pour lui de s’emparer de l'autorité suprême. Les Gaulois l'auraient suivi avec joie et seraient venus à Rome pour récupérer le butin que les légions romaines leur avaient autrefois pris. Mais, Lépide, il aurait agi en tyran et en usurpateur, et non en citoyen. J'admets bien que César voulait régner, mais c'était dans le cœur des Romains et non à Rome. Il leur accordait quotidiennement de nouvelles faveurs, ne songeant qu'à leur paix, à leur bonheur et à leur gloire. Et pendant qu'ils méditaient sa mort, il mettait tous ses efforts à les faire vivre dans le bonheur. N’a-t-on jamais vu, Lépide, un héros plus remarquable que César ? Remémore-toi attentivement toute sa vie, tu n’y percevras pas une seule tache, mais tu y trouveras toutes les qualités éclatantes de l’humanité. Les victoires qu'il a remportées ne comptent pas dans celles que le destin accorde aveuglément à ceux qui se fient à lui. Il les a gagnées par sa vaillance et sa raison. Et lorsqu'il a laissé sa place au hasard, c'était parce que la raison le permettait. Sa fermeté d'esprit, qu'il a toujours manifestée dans tous les dangers auxquels il s'est exposé pour la République, est quelque chose d'incompréhensible. Il a toujours affiché le même visage face aux bonnes et aux mauvaises situations. L'amour, la colère, la haine, la vengeance et l'ambition ne l'ont jamais poussé à la faiblesse. Il a toujours été maître de ses émotions et n'a jamais été vaincu, sauf par la clémence. Cependant, il y a eu des hommes, des Romains même, assez odieux pour considérer César comme un tyran. En réalité, Lépide, les choses ne se sont pas passées ainsi. La haine personnelle que Cassius portait à César, parce qu'il avait préféré Brutus à lui en le désignant consul à sa place, a été à l'origine de la conspiration. Ce n'était pas parce qu'il avait violé les lois romaines, maltraité les sénateurs ou fait mourir des citoyens, mais simplement pour venger Cassius. 113