Contexte Ce discours est dédié à la grandeur de la littérature, mais même si c'est son but premier, on peut dire qu’il ne m'éloigne pas de l'objectif général de mon livre. La poésie étant l'une des occupations les plus agréables, l'un des divertissements les plus adorés, admettre ce plaisir en montrant sa valeur est légitime. Voilà donc ce que j'ai cherché à accomplir dans ce discours, qui est plus raisonnable que motivé par l'intérêt personnel. Du moins, je sais bien que si je défends cette cause, c'est parce que je la crois bonne, et je n'enfreins donc pas le serment des orateurs qui les oblige à ne défendre aucune cause qu'ils estiment mauvaise. Jugez et écoutez ce que Livie a à dire sur ce sujet, à Mécène, protecteur des Muses. Mais ne vous étonnez pas de l'entendre parler en profondeur de cette matière. Octave aimait trop les poèmes pour ne pas avoir inspiré cette même passion à celle qui possédait son cœur. Et elle était trop habile pour ne pas être attentive. Ainsi, si j'ai fait le choix de ces personnages, c’est que j'avais des raisons de le faire, et on ne pourrait pas me blâmer pour cela. Livie à Mécène Je sais, Mécène, qu'Octave doit son empire à tes conseils. Les Romains te doivent le bonheur dont ils jouissent sous un règne éloigné de la tyrannie. Et moi aussi, je te dois la position que j'occupe aujourd'hui. Oui, Mécène, c'est toi qui as surmonté les puissantes raisons d'Agrippa ce jour où Octave débattait en lui-même s'il devait conserver le pouvoir suprême ou le remettre entre les mains du peuple. Ce grand empereur voulait se dépouiller de la couronne qu'il avait sur la tête, abandonner les rênes de l'empire, descendre du trône qu'il avait atteint après de si longs labeurs et, par un abandon plus honteux que la fuite d'Antoine à la bataille d'Actium, perdre la récompense de tant de victoires remportées. On pouvait dire que la fuite d'Antoine avait pour cause l’amour, mais ici on ne pouvait justifier celle d’Octave que par la faiblesse. On affirmait que sa main n'était pas assez forte pour porter le sceptre qu'elle tenait, et qu'il renonçait à ce qu'il ne pouvait pas conserver. Mécène, tu n’avais pas de faibles ennemis à affronter car tu étais devant Octave et Agrippa et ils s'opposaient à toi. Leur opinion semblait la plus juste, car elle paraissait la plus altruiste. Et l'on aurait dit qu'il y avait plus d’honneur à dissoudre l'Empire qu'à le consolider et plus d'avantages à obéir qu'à commander. Mais tu as été le vainqueur dans ce combat, et d'une manière tout à fait extraordinaire le vaincu est resté couronné. Et tu t’es contenté d'obéir à celui à qui tu as permis de conserver l'autorité. Cette dette que l'empereur a envers toi est sans aucun doute très grande, mais il t’est encore plus redevable pour l’effort que tu as fait pour le rapprocher de la bienveillance des Muses. C'est par ce moyen que tu peux lui offrir l'immortalité et te la donner à toi-même. 120