C'est ainsi que le siècle d’Octave peut être qualifié d’heureux. Et je pense qu'il est plus avantageux pour l'empereur d'être aimé de Virgile, d'Horace, de Tite-Live et du célèbre Mécène que d'être craint par toute la terre. La crainte qui le rendrait redoutable à toutes les nations les ferait obéir aussi longtemps qu'il serait en vie, mais les louanges de Virgile et d'Horace le rendront mémorable pour tous les siècles qui suivront le nôtre. Évidemment, Mécène, si tous les rois étaient animés par le désir et la gloire, ils devraient réfléchir à s'attirer l'affection de ceux que les dieux ont choisis pour transmettre cette gloire. C'est par l'histoire et par la poésie qu'ils peuvent parvenir à immortaliser leurs noms et prétendre vivre après leur mort, face au ravage du temps et du destin. Mais entre ces deux moyens qui mènent à l'éternité, la poésie semble avoir l’avantage particulier de diviniser les hommes. Elle est entièrement céleste et divine. Le feu qui l'anime éclaire et purifie tous ceux dont elle fait l’apologie, et sans transformer la vérité, elle excuse les défauts et met en valeur les bonnes qualités avec tous leurs intérêts. L'histoire nous montre la vertu toute nue, et la poésie l’habille de ses plus beaux ornements. L'histoire est si scrupuleuse qu'elle n'ose rien déterminer, elle se contente de raconter les choses sans les juger. Mais la poésie juge de tout. Elle glorifie, blâme, punit, récompense, donne des couronnes et des châtiments, elle illumine ou obscurcit la vie de ceux dont elle parle. En résumé, elle possède tous les avantages de l'histoire et de l'éloquence, et elle diffuse cette gloire immortelle qui est la récompense la plus noble de toutes les actions des héros. De plus, l'historien aborde une multitude de thèmes, ce qui rend presque inévitable que le règne du prince dont il raconte la vie soit lié à celles de ses sujets. Il utilise sa plume pour tous les criminels de cette époque, tout autant que pour les personnages honorables. Il n'a pas la liberté de choisir son sujet, il doit le prendre tel que le temps et le hasard le lui offrent. Le prince et ses sujets sont si mêlés qu'on ne peut presque jamais les distinguer, sauf dans les armées, les lieux publics et la foule populaire. Le poète, en revanche, sépare le prince du peuple. Il choisit son thème et sa matière, il suit son héros jusqu'à la tombe, il ne parle que de ce qui lui plaît et aborde les péripéties lorsqu'il les juge utiles. Donc, l'objectif de l'historien est simplement la vérité, tandis que celui du poète est la gloire et l'immortalité de son héros. Tu peux voir que je suis d’accord avec toi et que les conversations entre Octave et Mécène m'ont donné suffisamment de connaissances sur tout ce qui concerne la poésie pour en parler raisonnablement. Cela étant dit, je pense pouvoir affirmer que les rois devraient déployer tous leurs efforts pour se faire aimer des poètes, et qu’Octave t’est plus redevable de l'amitié d'Horace et de Virgile que de l'avoir empêché d'abandonner le pouvoir. Alexandre avait certainement raison d'envier le destin d'Achille, car il avait eu l'avantage d'avoir Homère pour perpétuer sa gloire. Mais Octave n'a pas à se plaindre de son époque puisque les dieux lui ont donné des amis tels que Virgile, Horace et Mécène. 121