Ceux qui prétendent que les Muses ne recherchent pas le confort et que la solitude et la pauvreté sont nécessaires à la création de leurs œuvres changeront peut-être d’opinion quand ils sauront que la générosité d'Octave et de Mécène n'a pas empêché Virgile de réaliser des chefs-d'œuvre, qu'Horace a acquis une renommée universelle, et que Tite-Live a mérité une gloire impérissable. En effet, il est évident que ceux qui créent de belles choses lorsqu'ils travaillent par obligation accompliraient des merveilles s'ils ne travaillaient que par passion pour la gloire. Un objectif admirable élèverait leur esprit jusqu'aux cieux, tandis que la tristesse et la nécessité les abaissent et les aveuglent pour les faire ramper sur terre. Tout le temps qu'ils passent à se plaindre du destin, à accuser l'injustice de leur époque, à blâmer l'ignorance de leurs semblables et à dénoncer l'avarice de leurs princes serait mieux utilisé pour des sujets plus élevés. Je sais bien que la solitude, les fontaines, les rivières, les prairies et les bois ont toujours été considérés comme des lieux propices à la composition de belles œuvres, mais lorsque toutes ces choses appartiennent à celui qui les a créées grâce à son imagination, je ne vois pas en quoi elles seraient un obstacle à sa gloire. Et il décrira mieux la beauté de sa prairie que celle d'un autre, l'ombre de ses bois le protégera mieux de l'ardeur du soleil que celles de ses voisins, le murmure de ses fontaines lui procurera des réflexions plus paisibles que celles du public. Une rivière à laquelle il est attaché lui semblera plus opportune à une belle description que si elle était vue d'un œil indifférent. Et enfin, la solitude occasionnelle lui fournira des idées plus agréables que celles qu’il s’imposera. Il est vrai que les cabanes des bergers rendent un paysage plus chaleureux, mais comme les peintres les placent toujours en arrière-plan, les poètes devraient les voir lors de leurs voyages ou par les fenêtres de leurs palais. Comment peut-on imaginer qu'un homme qui passe toute sa vie dans l'inconfort, le chagrin et la solitude puisse parler de l'abondance qu'il n'a pas, de la magnificence qu'il ne voit pas, de la cour qu'il n'a jamais fréquentée, des rois qu'il ne connaît que de noms, de la guerre qu'il n'a vue que dans les livres et de tant d'autres choses qui lui sont étrangères ? Les poètes, Mécène, sont comme les peintres, ils ne peuvent pas représenter avec exactitude ce qu'ils ne voient pas. C'est pourquoi il est essentiel que les grands princes les aient à leurs côtés, afin que leurs actions soient immortalisées par des œuvres qui traverseront les époques. Comment peut-on penser que ceux à qui l'on donne tout pour se plaindre puissent louer volontairement ceux qu'ils accusent secrètement d’être la cause de leur situation précaire ? Comment peut-on distinguer ceux qui font des éloges pour obtenir des faveurs de ceux qui le font par gratitude sincère ? Non, Mécène, il est impossible que cela puisse être ainsi. Tout comme les rêves qui généralement reflètent les pensées du jour, ces réflexions que la poésie offre à ceux qui s'y consacrent perdent toute leur luminosité à cause du chagrin de leurs auteurs quand ils ne sont pas heureux. Ils ressentent toujours les angoisses de la pauvreté et de la solitude. 123