Le poème épique est différent. C'est lui qui divinise les princes. Tout leur altruisme y apparaît avec éclat, leurs conquêtes y sont contées avec panache et leurs défauts, s'ils en ont, y sont habilement atténués. La fortune, la victoire et la renommée sont toujours de leur côté. Ils ne connaissent aucun ennemi qu'ils ne surmontent pas. Ils sont heureux, tant dans l’art de la guerre qu'en amour. Leur prestance se transmet de génération en génération. Et alors que les enfants ont l'habitude de tirer leur renommée de celle de leurs prédécesseurs sans mérite, ici, les prédécesseurs transmettent les plus grands avantages de leur puissance à leurs enfants et les rendent méritants eux-mêmes. La générosité d’Octave est la raison pour laquelle Virgile a immortalisé la piété d'Énée. Les conquêtes qu'il a réalisées feront vivre éternellement les exploits de son prédécesseur. C'est grâce à l’amour d’Octave que ce poète a conduit ce victorieux Troyen jusqu'au trône. Et en vérité, c'est lui qui l'a sauvé de l'embrasement de Troie, avec son père et ses dieux. Car sans Octave, ce héros serait sans doute resté enseveli sous les ruines imposantes et aurait sombré dans l’oubli. La postérité n'aurait pas entendu parler de sa vaillance, comme s'il n'avait jamais existé. Ainsi, il est de la responsabilité des princes de rechercher soigneusement parmi leurs sujets ceux qui sont capables d’effectuer un travail aussi majestueux, afin de les encourager par leurs faveurs à se lancer dans de grandes initiatives. Ceux qui peuvent donner vie à Hector, Achille ou Agamemnon dans une tragédie avec la même intelligence qu'Homère leur a donnée seraient capables d’écrire un récit aussi long, s'ils y étaient encouragés de bon cœur. Mais il est difficile de s'engager dans une telle course sans être assuré de trouver une récompense à la fin du parcours. Ceux qui participaient aux Jeux olympiques recevaient des couronnes à la ligne d'arrivée. Pourquoi donc un homme consacrerait-il ses efforts, ses jours, sa jeunesse et toute sa vie à un poème en ayant comme récompense le seul fait de l'avoir réalisé ? Mécène, cela ne serait pas juste. Et je le répète une fois de plus, il revient au prince de choisir celui qui doit chanter ses victoires, c'est au prince de le rendre heureux s'il veut qu'il le rende immortel et c'est à lui de faire ce qu’Octave et Mécène ont fait pour Virgile. Tu vois que je ne m'éloigne pas de tes sentiments et que les discussions avec Octave et toi m'ont suffisamment instruite en poésie pour oser t’en parler. Si par hasard tu es étonné de mon apprentissage, la raison en sera évidente lorsque tu comprendras qu'il s'agit de la renommée de l'empereur. C'est pour elle que je me suis instruite de toutes ces choses, et c'est pour elle que je te demande de continuer à la cultiver dans une si belle tendance. Donc, Mécène, poursuis ce projet, enrichis nos Muses avec les trésors d’Octave. Comme les dieux, donne-leur de l'or en échange de l'encens, et sache que si tu leur offrais des royaumes, elles te donneraient encore plus en retour. Oui, Mécène, tu régneras sur toutes les légendes des siècles à venir, ton nom sera si connu auprès de la postérité que quiconque deviendra son protecteur sera fier de l’être. 126