En réalité, nous ne vous avions personnellement rien promis et nous devions croire que même dans l'intérêt de Rome, il était nécessaire de quitter votre camp, car étant Romaines, la cité aurait pu subir une insulte à travers les circonstances de notre captivité. La gloire de Rome étant liée à la nôtre, nous avons jugé juste de risquer notre vie pour protéger les deux, et nous ferions sans aucun doute la même chose si l'occasion se présentait à nouveau. Le malheur de Lucrèce nous a appris à prévoir de tels drames. Et je peux vous assurer que si nous devions mourir, nous mourrions au moins innocentes. Il n'y a pas de règle sans exception. Le mensonge, qui est une forme de lâcheté, est parfois glorieux. Je suis convaincue que personne ne critiquait le noble Mucius lorsqu'il vous a assuré en regardant brûler sa main avec un sang-froid prodigieux qu'il y avait trois cents hommes dans notre camp qui avaient l'intention de vous tuer, même s'il était en réalité seul. Ce courage admirable qui a incité Horatius Coclès à tenir bon tout seul contre toute votre armée et qui l'a ensuite obligé à se jeter dans le Tibre, armé comme il était, n’est pas considéré comme une témérité ridicule. La fermeté de Brutus à condamner lui-même à mort ses enfants parce qu'ils étaient des traîtres à leur patrie sera plutôt perçue comme un jugement de bon citoyen que comme un sentiment de père abominable. Pourquoi ne veut-on pas que l'intérêt de l'honneur et du bien public, qui justifie le mensonge de Mucius, la témérité de Coclès et l'insensibilité de Brutus, justifie également la fuite de Clélie et de ses compagnes puisqu'elles n'avaient pour objectif que la préservation de leur honneur et de la patrie ? Si Mucius a courageusement brûlé sa main, si Coclès s'est entièrement dévoué au salut, si Brutus a donné le sang de ses enfants et si, nous aussi, nous avons exposé notre vie pour la même raison, pourquoi ne pouvons-nous pas prétendre à la même reconnaissance ? Pourquoi Lucrèce aurait-elle mérité une réputation immortelle pour s'être poignardée après son offense alors que nous serions indignes pour avoir risqué notre vie afin de mourir innocentes !? Non, non, cela ne peut être comme ça. La postérité sera plus équitable et je crois même que si vous examinez attentivement vos sentiments, vous constaterez qu'ils ne nous jugent pas. Nous n'avons jamais vu les dieux faire tomber la foudre sur les victimes qui s'échappent du sacrifice. Alors pourquoi, Porsenna, voudriez-vous traiter indignement des filles qui, se voyant négligées par leurs gardes, ou plutôt par leurs ennemis, ont cherché leur sécurité au prix de leurs vies ? On pourrait me dire que mes arguments sont justes et que nous n'avons pas eu tort de faire cela, mais qu’il semble ensuite que nos parents n'ont pas pris la bonne décision en nous renvoyant. Pourtant, cette idée n’est pas justifiée, et je vais l’expliquer en quelques mots. Je vous ai déjà dit que c'est l'honneur qui a motivé notre fuite, et c'est ce même honneur qui a provoqué notre retour. En réalité, ce sont nos pères qui vous ont donné leur parole, ce sont eux qui nous ont offertes en otages, ce sont eux qui ont négocié avec vous, ce sont eux qui ont convenu des termes de la paix. Il leur revient donc de respecter tout ce qu'ils vous ont promis afin de vous obliger à faire la même chose. 132