On voyait des aigles contre des aigles, des Romains contre des Romains, des citoyens contre des citoyens, des amis contre des amis, des parents contre des parents. Au bout du compte, la bataille de Pharsale m’aurait effrayée tout autant que ce que j’avais devant les yeux. Cependant, même si Antoine semblait être l'agresseur car il venait t’attaquer, mes larmes, mes arguments et mes prières ont surmonté ta rancœur. Tu as embrassé Antoine au lieu de le combattre, tu l’as accueilli en tant que mari de ta sœur et non comme ton ennemi. Les deux puissantes armées que vous aviez levées pour vous détruire n'ont servi qu'à témoigner de votre amitié. Car tu n’as pas oublié qu'Antoine t’a donné cent galères et vingt brigantins, et que tu lui as également accordé deux légions. De plus, tu m’as encore offert mille de tes meilleurs soldats pour lui. Penses-tu que cette première victoire ne puisse pas en prédire une seconde ? Tu m’aimes autant aujourd'hui que tu m’aimais en ce temps-là. Tu n’as pas ressenti de colère en voyant ton ennemi. Aujourd’hui, tu n’as pas de légions qui t’entourent, te pressant de donner une nouvelle occasion à leur courage. Tu es seul, désarmé et je suis malheureuse et affligée. Mes larmes, mes raisons et mes prières doivent être plus puissantes sur toi qu’elles l'ont été en cette journée de réconciliation puisque ici il ne s'agit que de mes intérêts et non de ton honneur. Il est plus facile d’éviter de s’armer plutôt que de se forcer à se désarmer. Il t’est donc plus facile de ne pas commencer la guerre maintenant que d’avoir fait la paix avec Antoine à l’époque. Il faut combattre la passion d'Antoine, et non sa personne. Je dois supporter sa fragilité sans me plaindre, je dois préserver mon cœur même s'il me vole le sien, je dois avoir de la compassion pour sa faiblesse, je dois avoir du respect pour lui-même s'il ne me témoigne que du mépris. Je dois rester dans sa demeure tant qu'il m'y tolère. Finalement, je dois m'opposer à toi chaque fois que tu voudras me demander de faire des choses qui pourraient être honteuses pour moi. Si Antoine cherchait à me convaincre de te détruire, je m'opposerais à lui de la même manière que je m'oppose à toi. Avec les mêmes armes avec lesquelles je te combats maintenant, je combattrais son injustice et son obstination. Oui, je resterai toujours la sœur d’Octave et la femme d'Antoine et, quelle que soit la volonté du destin, je ne ferai jamais rien d'indigne de ces deux statuts. Pardonne-moi si je te dis que je ne quitterai pas la demeure de mon mari à moins qu'il ne me le demande. Et même s'il arrivait que l'amour de Cléopâtre le pousse à un tel abus qu'il réclame mon départ, je l'abandonnerai en versant le moins de larmes possible, de peur que la compassion que l'on aurait pour moi n'accentue la haine qu'on aurait pour lui. Voilà quels sont les sentiments d'Octavie, aujourd’hui et pour toujours. Et en parlant honnêtement, Antoine n'est pas un homme ordinaire. Les grandes qualités qu’il a en lui méritent que l'on excuse sa faiblesse, et les belles choses qu'il a accomplies à la guerre doivent recevoir de tous les hommes de l’indulgence malgré ce que l'amour l’incite à faire. 138