Pour venger leurs propres blessures, ils ne trouveraient aucune difficulté à violer le droit humain, à oublier l'équité naturelle, à enfreindre les lois les plus justes, à détruire leur patrie et à mépriser le pouvoir des dieux. Voilà le désordre que la haine peut parfois causer même chez les esprits les plus forts. Pour t’empêcher de tomber dans un tel malheur, considère un instant ce que peut entraîner un excès d'amour chez le malheureux Antoine. Penses-tu que la haine te donnerait des sentiments plus justes ? Si j'étais jalouse, penses-tu que tu provoquerais moins de violence ? Si les passions d’Octave, d’Antoine et d’Octavie étaient opposées comme elles le sont aujourd’hui et que la haine prenait le dessus, nous serions capables de détruire le monde entier. Ne t’engage donc pas dans de mauvaises initiatives. Si toutefois tu souhaites te venger d'Antoine, abandonne-le à ses propres pensées et aux charmes de Cléopâtre. Laisse-le en paix conserver cette belle conquête et ne crains pas qu'il s'oppose aux tiennes s'il peut en profiter tranquillement. Mais rappelle-toi que si tu le frustres, il pourrait te causer beaucoup de peine. Les valeurs d'Antoine ne sont pas mortes, elles sont simplement endormies. Il pourrait peut-être se réveiller en fureur, et sans abandonner la passion qui règne dans son cœur, s’opposer à toi avec toute la rage d'un homme qui se bat pour se défendre et se venger, pour sa gloire et pour conserver sa maîtresse. Ne fais donc pas de cet ami malheureux un ennemi redoutable. Je t’en supplie, ne t'engage jamais dans une guerre où il me serait douloureux d'espérer que tu remportes la victoire. Imagine l'état dans lequel je me trouverais si je vous voyais encore une fois parés au combat, mais avec cette cruelle différence qu'auparavant c'était uniquement par amour pour vous, tandis que cette fois-ci ce serait par amour pour moi. Non, ne venge pas l'injure qui m'est faite et ne cherche pas un remède pire que le mal. Rien que l'idée de voir mon frère et mon mari prêts à se tuer par ma faute me remplit d'effroi. Je ne sais presque plus ce que je dis et dans un tel stress, je suis prête à donner mon sang et ma vie pour préserver la vôtre et celle d'Antoine. Cependant, comme tu ne voudras accepter ni mon sang ni ma vie, alors regarde mes larmes avec compassion, écoute au moins mes revendications et mes plaintes. C’est par ta volonté que je suis la femme d'Antoine, alors ne me demande pas ensuite de quitter sa maison comme celle de mon ennemi. Rappelle-toi que je suis la mère des enfants d'Antoine et qu'en tant que telle, je ne dois ni les abandonner ni les faire quitter la maison paternelle. Ce serait dire qu'ils ne seraient pas les légitimes successeurs d’Antoine s’ils devaient déserter sa maison. Et ce serait même donner des armes pour me détruire aux détracteurs d'Antoine et aux esclaves de Cléopâtre. Je suis donc déterminée à ne pas agir ainsi. Ma patience durera plus longtemps que l'amour d'Antoine et, quelle que soit la limite qu’il pourra atteindre dans le mépris qu'il me porte, ma décence ira encore plus loin. Oui, quand son affection n'aura aucun retour pour moi, qu'il vivra et mourra dans les bras de Cléopâtre, je verserai des larmes pour sa perte, mais sa mémoire me sera chère. Les enfants de Fulvie et de Cléopâtre deviendront les miens. Je prendrai soin de leur éducation et de leur destin. 140