Agrippine au peuple romain Germanicus, le petit-fils d’Octave et d'Antoine, Germanicus, la terreur de l'Allemagne et l'amour des Romains, Germanicus, en qui tous les mérites brillaient, Germanicus, dont toutes les actions ont été glorieuses, Germanicus, l'époux de la malheureuse Agrippine, petite- fille d’Octave, enfin Germanicus, le plus beau, le plus vaillant, le plus modeste, le plus équitable et le plus accompli des hommes qui ait jamais existé, n'est plus qu'un tas de cendres. Et cette urne renferme celui dont la valeur aurait pu conquérir le monde entier si l'on avait permis qu'il vive plus longtemps. Oui, Romains, voici votre Germanicus, dans un état où il a besoin de vous pour vivre éternellement. Le voilà également incapable de vous servir et de se venger de ses ennemis et des vôtres. Le voilà dans l'impossibilité de susciter davantage la jalousie envers son intégrité. Les moindres détails de sa vie sont si glorieux que la calomnie elle-même ne peut y trouver quoi que ce soit à redire. Alors, pleurez, Romains, notre malheur commun, car si j'ai perdu un époux, vous avez perdu votre protecteur. Regardez autour de cette urne, les six enfants de Germanicus, tous couverts de larmes. Ayez pitié de leur jeunesse et de leur malheur, et craignez avec moi que leur père, en les abandonnant, n'ait emporté avec lui toute leur moralité. Si sa vie avait été aussi longue qu'elle aurait dû raisonnablement l'être, son exemple aurait toujours porté leur instinct vers le bien. Mais aujourd'hui, dans l'état des choses et tel qu'il est, qui sera en mesure de les instruire, de les corriger ? Qui les mènera à la guerre ? Qui fera en sorte qu'ils haïssent la perversité et aiment l’éthique ? Je ne doute pas que Tibère n’aura jamais les mêmes sentiments pour eux que leur père avait, car ses sentiments ne changent pas. Cependant, étant donné que l'empereur n'a pas empêché que Germanicus ait des ennemis, des envieux, des persécuteurs et qu'il soit mort empoisonné, il est possible que les actions qu'il fera pour leur éducation leur soient totalement inutiles. Que le ciel fasse que tout ce que je redoute pour Caligula n'arrive pas. Amis Romains, laissons le futur entre les mains des dieux et concentrons- nous sur les malheurs qui nous peinent. Ces malheurs sont si grands qu'ils méritent toutes nos larmes. Versez-les toutes pour mon cher Germanicus, et souvenez-vous qu'il était du sang des Jules César, des Antoine, des Marcellus et des Octave. Il est de votre responsabilité, Romains, de pleurer dignement sa mort et de célébrer sa mémoire. Et pour témoigner l'estime que vous aviez pour lui, haïssez ceux qui l'ont haï, détestez ses envieux, ses ennemis et ses bourreaux. Ne craignez pas de parler de la lâcheté de Piso ou de la prétention de Plancina. Faites savoir sans crainte que ces corps trouvés hors des tombeaux, ces malédictions faites contre Germanicus, son nom gravé sur des plaques de plomb et toutes ces histoires d'enchantements et maléfices dont nous avons connaissance sont des preuves évidentes qu’on a attenté à sa vie. 143