Proclamez que le poison a accompli ce que les charmes n'ont pas pu faire, et ne craignez pas d'être punis pour ce crime. La mort de Germanicus a procuré tant de joie à ceux qui l'ont causée qu'ils ne seront pas d’humeur à se soucier de votre tristesse ou de vos discours pendant longtemps. Leur victoire sur l'homme le plus vaillant qui ait jamais existé les rend suffisamment vaniteux pour négliger vos sentiments et les pensées que vous avez sur cette affaire. Je crois même qu'ils sont assez aveuglés par leur désir de gloire qu’ils acceptent que la postérité sache qu'ils ont causé la mort de Germanicus. Ils convoitent davantage la réputation de grands politiciens que celle d'hommes honorables. Tant qu'on dira qu'ils ont réussi à éliminer ceux qui auraient pu s'opposer à leur autorité, ils se fichent d'être considérés comme cruels, dénaturés, infidèles, malfaisants et sanguinaires. Leur priorité est de maintenir leur autorité, même s’ils doivent utiliser des méthodes brutales pour y parvenir. Traître Piso et lâches ennemis de Germanicus, on saura que vous avez dominé, on saura que vous l'avez tué, on saura que vous avez violé tous les droits humains, on saura que vous n'avez pas respecté le plus honorable sang parmi les Romains, on saura que vous avez éteint cette flamme parce qu'elle éclairait trop la noirceur de votre vie, et enfin, on saura que la surabondance de vos crimes et les mérites de Germanicus est la véritable cause de sa mort. Je ne vais pas vous rappeler tous les ennemis de Germanicus. La crainte ne m'empêche pas de les nommer, car la crainte m’est inconnue, mais je sais que vous les connaissez tous. Vous connaissez la raison de leur haine, et aujourd'hui, je ne vois que les malheureuses conséquences de cette hostilité. Mais comment est-il possible d'avoir pu haïr Germanicus ? Qu'a-t-il fait dans sa vie pour mériter de tels ennemis ? Prenons le temps d'être un jury équitable et voyons s'il a pu mériter le supplice qu'il a enduré. Tout d'abord, en ce qui concerne l’orgueil qu’il aurait pu avoir, aucun homme n’en a jamais été aussi éloigné. La terre entière a pu constater que plus il avait de raisons de mériter l'Empire, plus il montrait d'affection envers Tibère et s'éloignait du chemin qui aurait pu le mener au trône. Que les dieux m'entendent, il aurait dû suivre mes conseils plutôt que ses propres sentiments ! C'est lui qui a insisté sur le serment de fidélité des Belges, une nation voisine de l'Allemagne. C'est lui qui a apaisé la révolte des légions et qui, plutôt que d'accepter leurs offres de le suivre partout, a préféré se transpercer le cœur d'un coup de poignard. Voilà, Romains, ce que Germanicus a fait pour Tibère. Il a voulu mourir pour lui. Et, ironiquement, d’une autre manière et avec d’autres sentiments, n’a-t-il pas obtenu ce qu’il souhaitait ? Quoi qu'il en soit, ne nous attardons pas sur un discours si funeste. Rappelons-nous que Germanicus m'a sommée en mourant de perdre un peu de cette fierté que m'inspirent l'innocence et le sang de ma famille. Disons simplement, sans mentir, que l'on peut affirmer que Germanicus a préservé l'Empire pour Tibère, car c'est lui qui a rétabli l'ordre et la discipline après la révolte militaire dans la plupart des légions, sans lesquelles les empereurs ne peuvent exercer leur puissance. 144