L'amitié que les légions avaient pour Agrippine et Germanicus n'a servi qu'aux intérêts de leurs ennemis, les dirigeants de Rome. Car même si Germanicus savait aussi bien que moi qu’il y avait à son égard des sentiments illégitimes, il se servait de cette amitié des légions pour les engager dans ses campagnes qui n'avaient pour objectif que la gloire de ceux qui ne l'aimaient pas. C’est vrai qu'il s'est montré insistant dans la guerre en Germanie, mais c'était seulement parce qu'il croyait que c'était nécessaire pour le bien de Rome, comme l’ont démontré par la suite les événements. Après les derniers efforts d’Arminius et d’Inguiomer pour lever une armée capable de vaincre celle de Germanicus, après avoir utilisé toute la ruse dont les capitaines avisés se servent, et après avoir tiré parti de tous les avantages que la connaissance des lieux lui offrait, Germanicus a remporté autant de victoires qu'il a livré de batailles. On n'a jamais vu des ennemis se défendre avec autant d'acharnement. Parfois, ils paraissaient fuir seulement pour revenir combattre avec plus de détermination. La défaite de leurs troupes ne faisait qu'augmenter leur courage. Plus ils semblaient proches de la défaite, plus ils s'efforçaient de se mettre en position de combat. On raconte que la valeur de ces soldats germaniques tués se transmettait à l'âme de leurs compagnons pour venger leur mort. Ainsi, Germanicus mérite une grande renommée pour avoir vaincu de tels ennemis. Parmi les objets que l'on a trouvés dans le butin après l'une des batailles remportées, on a découvert de nombreuses chaînes que l’ennemi avait préparées pour enchaîner les soldats romains en tant que prisonniers, car ils avaient la certitude de remporter la victoire. Cependant, après que Germanicus eut vengé la mort de Varus et la perte de ses légions, retrouvé les enseignes perdues et semé la terreur parmi tous les barbares grâce à sa valeur et à son commandement, qu’a-t-il fait pour son intérêt personnel ? Qu’a-t-il fait pour sa gloire ? Devrais-je le dire, Romains ? Oui, disons-le pour son honneur et pour la honte de ses ennemis. Il a fait ériger un trophée magnifique avec une inscription simple indiquant que l'armée de Tibère avait dédié ces monuments à Mars, Jupiter et Octave pour la victoire qu'elle avait remportée contre les nations qui habitaient entre le Rhin et l'Elbe. Et tout cela, Romains, sans parler de lui, sans demander plus de mérite que le plus modeste soldat de l'armée qu'il commandait. Je ne vous raconterai pas en détail toutes les choses que Germanicus a accomplies, car l’histoire romaine vous les a déjà apprises, et la haine que certains ont nourrie à son égard devrait suffisamment vous montrer qu'il est digne de votre amitié. Ensuite, lorsque Tibère a jugé opportun que Germanicus revienne à Rome pour recevoir l'honneur pour cette conquête, ce noble et malheureux homme a bien compris que Tibère commençait à se sentir menacé par sa gloire et qu’il voulait l’éloigner des combats pour qu’il ne devienne pas plus prestigieux qu’il l’était déjà. Cependant, il a obéi. Abandonnant cette guerre inachevée qu'il désirait si utilement terminer pour vous et oubliant toute sa prudence, il a simplement écouté sa bienveillance. 147