J’étais sans doute destinée au trône, mais je ne voulais pas y monter, car je ne pouvais le faire qu'en marchant sur les corps de mon grand-père et de mon frère. Ce trône était souillé de leur sang, il fallait au moins le laver avec mes larmes puisqu'il n'était pas permis de répandre le sang de leurs bourreaux. Hélas ! Quand je me souviens de cet acte digne de compassion, celui de voir ce successeur de tant de rois, ce vénérable vieillard, recevoir la mort de celui qu'il avait accueilli dans sa famille, je frémis d'horreur, et je ne peux détourner mon attention, excepté lorsque l'image d'un Aristobule inanimé se présente à mes yeux. Qu'avait fait ce malheureux pour mériter son châtiment ? Il était jeune, sage, bon sans réserve, son plus grand défaut était sans doute de me ressembler. Mais hélas ! Ce défaut aurait dû lui être avantageux en cette occasion : car s'il était vrai que tu avais pour moi cet amour ardent que tu as toujours voulu me persuader d'avoir pour toi, même si Aristobule n'avait pas été mon frère, même s'il avait été coupable, tu aurais toujours dû respecter mon image à travers lui. La ressemblance de la personne aimée aurait pu adoucir les plus cruels et les faire changer de plan. Mais pourquoi m'adresser ainsi à celui qui me veut du mal et qui, en plus d'avoir renversé le trône de mes ancêtres, a fait tuer mon grand-père, noyer mon frère et éliminer toute ma famille ? Maintenant, il cherche à m'ôter mon honneur en m'accusant injustement de trois crimes auxquels je suis incapable de penser. On prétend que j'ai envoyé mon portrait à Antoine, que j'ai eu une relation particulière avec Joseph et que j'ai comploté contre ta vie. Est-il concevable que Mariamne doive répondre à de telles accusations ? Ne suffit-il pas de dire que si l'on m'incrimine, alors je suis innocente ? Non, je vois bien qu'en dépit de ma condition et de ma morale, il faut que je me prépare à être injustement condamnée. Bien que je vienne d'une lignée où je ne dois rendre compte de mes actions qu'à Dieu seul, il me faut pourtant les justifier devant vous qui êtes mes accusateurs, mes ennemis et mes juges. Vous affirmez donc que j'ai envoyé mon portrait à Antoine, quelqu'un que je ne connais pas et qui ne m'a jamais vue. Sans fournir aucun détail à ce sujet, si ce n'est qu'il était en Égypte à l'époque, vous voulez néanmoins que cette accusation soit considérée comme une vérité absolue. Mais dites-moi, quel est le peintre qui l'a réalisé ? Qui l'a livré ? Quelles sont les personnes à qui Antoine l'a montré ? Où sont les lettres qu'il m'a écrites pour me remercier d'une telle faveur ? Car il est difficile de croire qu'il aurait reçu une preuve aussi extraordinaire de mon affection sans m'en exprimer sa gratitude. Le cœur de Mariamne n'est pas une conquête si peu glorieuse qu'il y aurait des rois sur terre qui ne seraient pas flattés de l'avoir accomplie. Cependant, il n'y a aucune trace des cadeaux qu'Antoine aurait apportés pour me conquérir ou me garder. Et franchement, en cette occasion, j'aurais dû non seulement oublier ma propre gloire, mais également perdre complètement la raison pour avoir pensé au crime dont on m'accuse. 15