Parmi ce nombre infini de belles femmes qui ont sans doute vécu dans les siècles précédant le nôtre, nous avons à peine entendu parler de deux ou trois seulement. Et pourtant, dans ces mêmes siècles, nous voyons la gloire de nombreux hommes solidement attestée par les écrits qu'ils nous ont laissés. Érinna, veille à ce que le temps, la vieillesse et la mort ne t’enlèvent que des roses et ne dérobent pas toute ta beauté. Triomphe de ces ennemis qui menacent toutes les belles choses. Montre-toi capable de soutenir la gloire de la féminité. Fais reconnaître à nos adversaires communs qu'il nous est aussi facile de les vaincre par la force de notre esprit que par la beauté de nos yeux. Dévoile ton jugement en méprisant les stupidités que les coutumes pourraient répandre sur ton initiative. Offre au monde entier les si belles œuvres de ton imagination, les si nobles exploits de ton esprit, les si grands résultats de ta mémoire et les si belles marques de ton jugement. Toi seule as l'avantage de rétablir la gloire de toutes les femmes. Ne néglige donc pas mes paroles, car si tu refuses de me suivre et que tu places toute ta gloire dans ta beauté, tu pleureras de ton vivant la perte de cette beauté. On parlera de toi comme si tu avais vécu à une autre époque, et tu réaliseras alors que j'avais raison de te dire aujourd'hui ce que je pensais déjà exprimer autrefois dans certains de mes vers : Les lys, les œillets, les roses, Leur éclat dans vos yeux se pose, Mais tout cela s'évanouira, Et vous, entièrement, on vous oubliera, À moins que, pour vaincre la Parque et la destinée, Vous embrassiez l'étude, immortel bouclier. Effet de ce discours On peut dire que ce discours fit son effet car il semble que la destinataire se soit laissée emporter où Sappho le voulait puisqu’un écrit grec nous dit que si Sappho surpassait Érinna en poésie lyrique, Érinna surpassait Sappho en vers hexamètres. Si l'on s'éloigne du sens littéral pour se rapprocher de mes intentions, je serais très fier si je parvenais à vous convaincre que la beauté ne doit pas être l’objet de la gloire, de la même façon que cette belle poétesse persuada à son amie. 158