Si j'obtiens ce service de ceux qui m'écoutent, je mourrai presque sans douleur. Et je dirai absolument sans regret à mes chers enfants que je te laisse de s’exiler de la maison paternelle, car je ne doute pas, aussi honorables soient-ils, qu'ils s’attirent ta haine aussi bien que moi. Les plaintes qu'ils feront de ma mort constitueront des crimes contre toi : tu croiras qu'ils en voudront à ta vie en pleurant la perte de la mienne. Hélas, je les vois déjà maltraités par cette esclave qui fut ta première femme, je les vois soumis à l'humour violent de ton fils Antipater, à la calomnie de Salomé, aux outrages de Phéroas et à ta propre cruauté. Et peut- être que les mêmes bourreaux qui me feront mourir répandront leur sang, ou plutôt achèveront de verser celui de ma lignée. Je te vois déjà, injuste et cruel, à la fin de tant de meurtres. Mais n’espère pas jouir paisiblement du fruit de tant de funestes victoires. Tu cherches un repos que tu ne trouveras pas. Tu seras toi-même ton accusateur, ton juge et ton bourreau. Les ombres de tant de rois dont je suis descendante et que tu outrages en ma personne t’entoureront de toutes parts. Celles du vil Hyrcan et du jeune Aristobule te troubleront toute ta vie. Tu te verras toujours couvert du sang de tes enfants, et l'image de Mariamne poursuivie par les bourreaux qui l'attendent te suivra toujours pas à pas. Tu la verras toujours, que ce soit en veillant, que ce soit en dormant, qui te reprochera ta mort. Tu auras dans ton cœur le repentir, la honte, la confusion et le désespoir. Tu souhaiteras la mort que tu donnes aux autres et tes crimes t’apparaîtront alors aussi grands et authentiques qu'ils le sont, mais tu auras peut-être le malheur de les regretter sans t’améliorer. Et je ne doute pas qu'après avoir violé tous les droits divins et humains, on ne les viole également pour toi. Oui, je vois déjà l'aîné de tes enfants, car les miens n'en seront jamais capables, vouloir te donner ce poison dont tu m’accuses injustement. Je vois tous tes ministres devenir tes plus cruels ennemis. Salomé, Phéroas et Antipater seront les plus ardents à te nuire. Je te vois haï de tout le peuple, détesté de tous les princes, exécré par les générations futures. Et peut-être te sentiras-tu toi-même effroyable, peut-être qu'après avoir répandu tout le sang de ta race, le désespoir te mettra-t-il un poignard dans la main pour délivrer le monde d'un dangereux ennemi. Mais peut-être encore ne pourras-tu pas en finir quand tu le souhaiteras, et auras-tu le malheur de souffrir des supplices qui t’attendent dans l'autre monde. Voilà, déloyal et cruel Hérode, la prédiction que te fait en mourant injustement la malheureuse Mariamne qui, en cette dernière journée, te regarde plus en tant que son tyran, plutôt qu’en tant que son roi ou son mari. 20