Oui, j'ai supporté d'être insultée à Rome, et bien que l'orgueil de ta nation, qui traite toutes les étrangères de barbares et toutes les reines d'esclaves, m'ait empêchée d'être ta femme, l'affection que j'ai pour toi a été si forte que je n'ai cessé d'être à toi. Oui, Antoine, je t’ai aimé plus que mon honneur et plus que ma vie. J'ai cru qu'il était juste d'aimer un homme digne du rang des dieux, et que la passion qui brûlait dans mon âme avait une cause si distinguée qu'elle pouvait justifier mes sentiments. Ainsi, sans considérer les malheurs qui m'étaient destinés, je t’ai aimé constamment depuis le premier jour où je te l'ai promis. Juge donc après cela si j'ai pu te trahir, ou pour être plus précise, si j'ai pu me trahir moi-même. Il est vrai que j'ai pris la fuite, mais si j'ai fui, cela n'a été que par amour pour toi. J'ai abandonné la victoire pour conserver ta vie, car tu m’es plus cher que ta gloire ou la mienne. Je vois bien que ce discours t’étonne et te surprend, mais permets-moi de te dire dans quel état se trouvait mon âme lorsqu’au milieu du combat, je t’ai vu couvert de sang et de flammes. La mort que je voyais partout me faisait craindre la tienne. Tous les javelots des ennemis semblaient ne s'adresser qu'à toi. Et de la manière dont mon imagination me représentait la chose, je croyais que toute l'armée d’Octave ne voulait abattre qu'Antoine. Il m'a semblé plus d'une fois que je t’avais vu entraîné de force dans les navires ennemis ou tomber mort à leurs pieds. Et bien que ceux qui m'entouraient m’aient assuré que mes yeux me trompaient et que la victoire était encore incertaine, que pouvais-je dire en ce lugubre instant ? Et quelle douleur ressentais-je ! Mon cher Antoine, si tu savais dans quel tourment se trouve une âme qui voit la personne aimée danser avec la mort à chaque instant, tu estimerais que c'est le plus effroyable supplice que l'on puisse jamais endurer. Mon cœur recevait tous les coups portés contre toi, j'étais captive à chaque fois que je croyais que tu l’étais, et la mort elle-même n'a rien d'aussi rude que ce que j'éprouvais en ce moment. Dans cet état désolant, je ne trouvais aucun remède à ma douleur, et mon imagination, de plus en plus ingénieuse à me persécuter, après m'avoir convaincue que tous les ennemis voulaient ta mort, me persuadait ensuite qu'ils cherchaient à préserver ta vie pour se rendre maîtres de ta liberté. Ce premier sentiment me donnait sans doute un instant de repos, mais l'image du triomphe d’Octave se présentant tout à coup à moi, je retombais dans le désespoir. Je savais que tu ne fuirais pas devant un vainqueur, mais je croyais que pour éviter cette captivité, tu aurais recours à la mort, et de quelque façon que cela se passe, je me trouverais toujours malheureuse. Je cherchais quel serait le poison que je choisirais pour te suivre, et aucune autre option ne me traversait l'esprit. J'ai pensé plus de vingt fois à me jeter dans la mer pour me délivrer de la douleur. Cependant, comme je ne pouvais mourir sans te quitter, je n’ai pu suivre cette décision. Mais tout à coup, en considérant la forte dévotion que tu m’avais toujours témoignée, j’ai cru que si tu me voyais abandonner le champ de bataille, tu l’abandonnerais aussi, et que par là j'avais trouvé un moyen de conserver ta vie et ta liberté. 25