Comme tu le sais, il avait perdu la bataille quelques jours auparavant et avait fui lâchement devant ceux que tu as détruits peu de temps après. Mais cet abandon n’a rien à voir avec le tien, car l'amour a provoqué ta fuite tandis que la crainte a incité la sienne. Tu vois donc, mon cher Antoine, que tu es vaincu sans honte et que ton ennemi a remporté la victoire sans gloire. Et notre situation n’est pas encore désespérée. Tu as une puissante armée près d'Actium, qui n'est pas encore sous l’emprise d’Octave. Mes royaumes ont encore des hommes, de l'argent et des places fortes. Je veux que tous mes sujets se battent jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour préserver le tien et ta liberté. Finalement, même lorsque le sort t’enlèvera injustement toutes les couronnes que tu mérites et que tes valeurs te seront arrachées de force, sache que je t’aimerai toujours autant. Non, mon cher Antoine, même si le hasard et le malheur nous réduisent à vivre dans une cabane de chaume, dans un lieu isolé de la société des hommes, j'aurai pour toi le même respect que j'avais en ces temps bienheureux où tu dirigeais des royaumes et où l'on voyait vingt-deux rois derrière toi. Ne crains donc pas que le malheur m'effraie. Il n'y a qu'un malheur que je ne pourrais pas supporter avec toi et je sais que tu ne le tolèrerais pas non plus. Oui, moi, Cléopâtre, peux être exilée avec Antoine sans me plaindre. Je peux renoncer à toutes les grandeurs de la royauté et conserver encore le désir de vivre. Mais la servitude, c'est ce que je ne peux pas supporter, et je sais bien que toi non plus. Sois donc assuré que loin d'avoir des relations avec Octave, je t’engage ma parole à mourir plutôt que de lui confier mon destin et de lui permettre de me réduire en esclavage. Non, Antoine, je ne porterai jamais de chaînes, et si le sort me conduit à un point où je n'ai d'autre alternative que celle de Rome ou de la mort, la fin de ma vie justifiera l'amour que tu as pour moi et mon innocence. Mais avant d'en arriver à cette solution ultime, faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour résister à nos ennemis. Conserve la vie aussi longtemps que possible, sans honte, car enfin, elle ne nous sera précieuse que tant que notre amour sera parfait. Il me semble que je lis dans tes yeux que mon discours n'a pas été inutile. Ils me disent que ton cœur s’excuse de m'avoir injustement soupçonnée, qu'il voit mon innocence aussi pure qu'elle est, et que l'amour qu'il a pour moi est si fort qu'il continue d'aimer la personne qui lui a arraché la victoire des mains. Pour ma part, tu seras toujours ma passion la plus forte et la dernière. J'avoue qu'à une époque où je ne te connaissais pas, la grandeur de Jules César a touché mon cœur, et que je n’ai pas pu m'empêcher d'aimer un homme qui, dans le monde entier, passait pour le premier des mortels. Un homme que tu as autrefois jugé digne de l’Empire romain puisque c’est toi qui lui as rendu les premiers honneurs en plaçant un diadème sur sa tête au milieu de Rome, et c’est toi qui, après sa mort, as contribué à sa mémoire par le beau et puissant discours que tu as prononcé devant le peuple romain, chassant Brutus et Cassius, mettant le feu à leurs palais et affichant ton courage et ton amitié. Mais depuis que je t’ai vu, je peux t’assurer que tu as régné parfaitement dans mon âme, et que tu y régneras toujours. 27