C'est pourquoi, sans m'étendre davantage sur ce sujet, je me contenterai de remercier ta bienveillance et ta bonté. Mais ces deux qualités sont aussi connues que ton courage, car si, comme je l'ai déjà dit, tu es le maître et le vainqueur de tous les hommes, on peut également dire que tu es le bienfaiteur de tous les hommes. On dirait que les dieux t’ont confié tous les avantages qu'ils ont l'habitude d'accorder aux mortels, qu'ils t’ont désigné comme le distributeur des bienfaits et qu'ils t’ont donné la mission de rendre le monde meilleur. À peine as-tu conquis un royaume que tu le redonnes, et que tes ennemis deviennent tes sujets et tes amis. Tu les as tous juste vaincus que tu deviens leur protecteur. Je suis un exemple de ce que j'affirme, et ne pas me croire constituerait un crime car, Alexandre, je n'oublierai jamais les faveurs que j'ai reçues de toi. Oui, je me souviendrai toujours de cette redoutable journée où mes filles et moi sommes devenues tes prisonnières. La crainte d’être réduites en esclavage avait rempli notre esprit d’images si malsaines que la mort nous semblait le plus grand bonheur qui puisse nous arriver. Nous avions perdu la guerre et le trône, nous pensions déjà avoir perdu Darius, et ce qui était le plus insupportable pour nous, c'est que nous nous imaginions être contraintes de mourir de notre propre main pour éviter l'insolence des vainqueurs. Mais je ne connaissais pas encore Alexandre, car je me disais en moi-même : je suis la mère du plus grand de ses ennemis, puisque Darius est le plus puissant parmi tous ceux qui lui ont résisté. Je te craignais autant à cette époque que je t’aime aujourd'hui. Cette crainte injustifiée n’a pas duré longtemps dans mon esprit, ta présence l'a dissipée rapidement. Je me souviens même que la première fois que j’ai eu l'honneur de te voir, tu m’as pardonné une erreur. Comme je ne te connaissais pas et que le trouble dans lequel j'étais ne me laissait pas la liberté de bien raisonner sur les choses, tu as su que j’avais pris le général Héphaestion pour toi, et sans te fâcher, tu m’as dit que je ne me trompais pas, car lui aussi était Alexandre. Cette marque d’indulgence envers moi et d'amitié envers ton favori a commencé à me donner une opinion plus authentique de toi et à raviver dans mon âme l'espoir que la crainte avait chassé. Et aujourd'hui encore, tu montres clairement qu’Héphaestion compte autant pour toi que toi- même. Tu as l'intention d'épouser l'aînée de mes filles, tandis que l'autre sera unie à ce second Alexandre. Depuis ce choix, tu as accompli tant de choses pour moi. Même lorsque j'étais captive, tu m’as traitée en reine et m’as appelée « mère ». Tu as toujours été là pour me consoler dans mes moments de douleur. J'ai vu ton chagrin lors de tes propres victoires, j'ai remarqué ta peine à la perte de Darius. Tu t’es occupé de ses funérailles et de son tombeau. Tu as risqué ta vie pour venger sa mort, punissant le traître Bessus qui l'avait tué. Tu as également récompensé ceux qui étaient fidèles à Darius. Aujourd'hui encore, tu le remets sur le trône en y plaçant son sang et le mien à travers Stateira. 31