ennemis. Et comme on pouvait dire que la valeur de cet homme avait été sa grandeur d’âme, j'ai fait le vœu de consacrer toute ma vie à cueillir des palmes pour les déposer sur son tombeau. Ainsi, un jour, je pourrai dire que j'ai vengé sa mort de ma propre main et défendu l'empire pour nos enfants. J’ai pensé qu'il valait mieux décorer son cercueil des dépouilles des ennemis que je vaincrai plutôt que de le mouiller de mes larmes. Dans cette résolution, j'ai pris les armes d'une main et les rênes de l'empire de l'autre. J'ai toujours cru, mes filles, que toutes les qualités pouvaient coexister, qu'il était possible qu'une même personne les possède toutes, que les qualités des hommes pouvaient être pratiquées par des femmes, que la véritable sagesse n'avait pas de sexe déterminé. On peut être pure et vaillante à la fois, témoigner de courage dans une occasion et d’humilité dans une autre, être sévère et clémente dans différentes situations, commander et obéir, et porter des chaînes et une couronne avec le même visage. C'est avec cette conviction, mes filles, que j'ai accompli ces choses distinctes, bien que je sois restée la même aujourd'hui. Mais pour revenir sur toute ma vie, vous savez que la mort qui a enlevé mon Odénat ne m'a pas privée de la joie de ses armes. Au contraire, sa vaillance a semblé se joindre à la mienne. J'ai vaincu l'armée que Gallienus avait envoyée contre moi sous le commandement d'Héraclianus. Et non satisfaite de cette première victoire, j'ai conquis l'Égypte et je me suis fait reconnaître en tant que maîtresse absolue du royaume de mes prédécesseurs. De là, j'ai avancé jusqu'à Ancyre, la principale ville de la Galatie. J'ai même porté mes armes à travers toute la Bithynie jusqu'à Chalcédoine et en dessous du Bosphore. Après que j’ai vaincu les Perses à plusieurs reprises et fait entendre le bruit de mes triomphes dans le monde entier, Aurélien, conduit par le destin et plus habile à manier l'épée que ne l'était Gallienus, est finalement venu en personne pour m'arrêter dans ma course. Je vais vous répéter nos malheurs avec autant de détails que j'ai raconté mes succès, car vous savez bien qu'ils sont gravés dans votre mémoire. Je n'aurais pas entrepris de vous rappeler mes victoires si je ne savais pas que votre profonde mélancolie vous les a fait oublier, car dans votre désespoir vous n’êtes plus réceptives qu'aux images sombres. Vous n'ignorez donc pas le chemin par lequel Aurélien m'a conduite à Rome. Vous vous souvenez sûrement comment la perfidie Héracléion lui a permis de prendre la ville de Tyane. En dépit de mon commandement et ma vaillance, l’armée d'Aurélien lui a donné la victoire devant Antioche. Grâce à l'ingéniosité de Zabas, j’ai été mise en sécurité lorsque j’ai fui à Emèse. J'ai rallié mes troupes et une seconde fois combattu Aurélien qui, malgré mes efforts, a finalement remporté la bataille. Vous savez encore que j'ai abandonné Emèse pour me réfugier à Palmyre en attendant le secours promis par les Perses, les Sarrasins et les Arméniens. Vous savez que c'est là qu'Aurélien est venu m’assiéger avec sa puissante armée, composée de Pannoniens, de Dalmates, de Maures, de Celtes et d'autres troupes nombreuses venues d'Afrique, de Tyane, de Mésopotamie, de Syrie, de Phénicie et de Palestine. 44