Si Cléopâtre avait suivi le char d’Octave, elle aurait vu de nombreux sujets désagréables en traversant Rome, qui lui auraient reproché ses imprudences passées. Le peuple aurait sans doute exprimé son mécontentement en murmurant ses fautes et les causes de ses erreurs. Mais moi, j'étais certaine de ne voir autour du char que je suivais que des hommes que j'avais autrefois vaincus, et des témoins de ma valeur et de ma puissance. J'étais assurée de ne rien entendre de déshonorant, de n'entendre parler que de mon malheur présent et de mes triomphes passés. « Voilà, disait le peuple, la vaillante Zénobie, voilà cette femme qui a remporté tant de victoires. Admirez sa fermeté en cette situation, ne dirait-on pas que ces chaînes de diamants qu'elle porte l'ornent plutôt qu'elles ne la contraignent, et qu'elle mène le char qu'elle suit ? » Enfin, mes filles, alors que j'étais chargée de chaînes, mais de chaînes en or et en pierres précieuses, comme une esclave distinguée, pendant toute la magnificence du jour de cette parade, qui est sans aucun doute le jour le plus pénible de la servitude, j'étais libre dans mon cœur. J'avais l'âme assez sereine pour voir avec plaisir que ma persévérance arrachait des larmes à certains de mes ennemis. Oui, mes filles, la moralité a des charmes si puissants que même la rigueur romaine ne peut lui résister. J'ai vu certains d'entre eux pleurer la victoire d'Aurélien et mon propre malheur. Il ne faut pas laisser son âme être ébranlée par des choses qui ne peuvent pas la toucher lorsque l'on a acquis assez de sagesse. Tout le luxe déployé lors des triomphes ne doit pas effrayer un esprit raisonné. Tous ces chars en or, ces chaînes de diamants, ces trophées d'armes et cette foule de gens rassemblés pour assister à cette cérémonie ne devraient pas inspirer la peur à une personne noble. Il est vrai que mes chaînes étaient lourdes, mais quand elles n’enferment pas l'esprit, elles ne gênent pas les bras qui les portent. Pour ma part, dans cet état déplorable, j'ai souvent pensé que puisque le destin a voulu que je suive un char que j'avais moi-même fait construire pour fêter ma victoire, il se pourrait un jour que l'on fasse des sceptres avec les mêmes chaînes que je portais. Mais si cela n'arrive pas, ne vous affligez pas. Préoccupez-vous davantage de vous rendre dignes du trône que d'y remonter. Étant donné mon état d'esprit actuel, j'accorde plus de valeur à un humble esclave loyal qu'au souverain le plus puissant du monde s'il manque de générosité. Alors, mes filles, songez à supporter votre servitude avec plus de patience. Croyez fermement que si j'ai été vaincue par Aurélien, cela prouve que ma résistance a surpassé le destin. Tout au long de ma vie, il a été évident que je ne crains pas la mort tant qu’elle est glorieuse. Je l'ai vue de nombreuses fois avec un visage plus terrible qu'aucun désespéré ne l'a jamais vue. Le poignard de Caton, l'épée de Brutus, les charbons ardents de Porcie, le poison de Mithridate, ou même le cobra de Cléopâtre n’ont rien d'effrayant pour moi. J'ai vu une pluie de flèches et de javelots tomber sur ma tête, j'ai vu des centaines de lances pointer vers mon cœur, et tout cela sans aucune peur. Ne pensez donc pas que si j'avais cru que la mort aurait pu être glorieuse pour moi, je ne l'aurais pas trouvée de ma propre main. Elle était habituée à vaincre les autres, elle aurait brisé mes chaînes si elle l'avait voulu. 47