C'est uniquement par amour pour moi qu'il a abandonné le parti de Crésus. Bien qu'il ait eu des raisons justifiables de le servir, le souvenir de son père, qui l'aimait tendrement, a influencé ses décisions. Mais dès que je lui ai fait part de ma dette à votre égard, il a proposé de remplir cette responsabilité. Votre renommée avait déjà convaincu son cœur de satisfaire ma demande, et puisqu’il avait un grand respect pour vous, il lui était facile de vous aimer. Enfin, Cyrus, il a témoigné en cette occasion beaucoup de gratitude envers vous et beaucoup d'amour envers moi. « Non, Panthée, m’a-t-il dit, Abradate ne peut être l'ennemi de ton protecteur. Il a essuyé tes larmes, il faut que je verse mon sang pour cela. Il a veillé sur ta gloire, il faut que ma vaillance serve à ses conquêtes. Il a perdu un homme qu'il aimait beaucoup pour te protéger, je dois réparer cette perte et faire en sorte que personne ne subisse l'absence d'Araspe le jour de la bataille. Oui, a-t-il ajouté en haussant la voix, je perdrai la vie ou je montrerai à Cyrus que ceux qui reçoivent une faveur comme celle-ci sont parfois aussi généreux que ceux qui le donnent. » Hélas ! Faut-il que je le dise, je ne me suis pas opposée à ce discours, sans anticiper le drame évident. J'ai encouragé son bon sentiment et sa volonté, j'ai exprimé ma gratitude pour ce qui devait causer mon ultime tourment. Et contribuant moi- même à mon propre malheur, j'ai incité son courage à réaliser les choses qui l'ont fait mourir aujourd'hui et qui le feront vivre éternellement. Souvenir cruel ! Injustice du destin ! Pourquoi fallait-il qu'Abradate soit le seul vaincu parmi tous les vainqueurs ? Pourquoi fallait-il qu'après avoir si héroïquement versé son sang pour remporter la bataille, il soit presque le seul à ne pas profiter des fruits de la victoire ? Mais ce n'est pas uniquement avec cette conversation que j'ai permis cette tragédie. Mon aveuglement était si grand que j'attendais cette journée funeste comme un jour de victoire. Mon esprit était rempli d'espoir, mon imagination ne me présentait que des choses agréables. Je considérais la fin de ce combat comme le début de ma gloire. Je voyais Abradate revenir couvert de lauriers, son char chargé des dépouilles de ses ennemis. En pensant de cette manière, j'ai redoublé d'efforts pour lui donner des armes éclatantes. Je connaissais la valeur d'Abradate, mais j’ignorais encore la malice du destin. Je craignais tellement que ses belles actions ne soient pas suffisamment connues que j'ai utilisé toutes mes pierres précieuses pour orner sa cuirasse afin de le rendre plus resplendissant. Mais ce que j’ai fait ne l’a pas aidé à rester en vie ! J'étais sans doute du côté des ennemis, je voulais leur montrer où ils devaient frapper. Je suis la cause de toutes les blessures qu'Abradate a subies. C'est moi qui lui ai transpercé le cœur et qui ai couvert tout son corps de sang et de plaies. J'ai dirigé la main de tous ceux qui l'ont attaqué. En plus de susciter l’envie chez les audacieux de vaincre un guerrier glorieux, j'ai également souhaité que tous les sauvages et les mercenaires partagent le même objectif. J'ai armé contre lui toute l'armée de Crésus. 67