Hélas ! Cette image a rapidement été effacée par une autre : tout à coup, ce qui devait inciter les soldats d'Abradate à le suivre de près est devenu la raison de leur abandon. Le danger extrême dans lequel il se trouvait a fait fuir ceux qui devaient le soutenir et a amplifié la peur des Égyptiens de ceux qui restaient. J'ai vu la plupart de ses hommes l'abandonner et l’observer se faire encercler par les ennemis. Pourtant, je l'ai vu ouvrir un chemin à travers les lances, les javelots et les projectiles de ceux qui l’attaquaient. Je l’ai vu éclaircir les rangs, renverser tout sur son passage, fracasser les chars qui se dressaient devant lui, tuer ceux qui les conduisaient, attaquer et se défendre en même temps, et finalement vaincre tout ce qui s'opposait à lui. Mais après avoir construit de ses propres mains un trophée à votre gloire et à la sienne, et montré à vos hommes par quel chemin ils trouveraient la victoire, après avoir couvert la campagne de sang, de morts, d'armes brisées et de chars détruits, ces mêmes hommes qu'il avait tués, ces mêmes armes qu'il avait brisées et ces mêmes chars qu'il avait détruits, ont renversé Abradate. S'il avait vaincu moins d'ennemis, il n'aurait pas été vaincu à son tour : ceux qu'il avait battus lui ont été plus funestes que ceux qu'il combattait encore. Finalement, j'ai vu Abradate accablé par leur nombre, couvert de blessures, luttant pour sa vie jusqu'à la dernière goutte de son sang. Vision effroyable ! J'ai vu Abradate tomber et, en mourant, surmonter ceux qui le faisaient mourir. Et en effet, Cyrus, vos hommes ont mieux combattu pour avoir le corps d'Abradate mort qu'ils ne l'auraient fait pour sauver Abradate en vie. Imaginez dans quel état était mon âme lors de cette apparition macabre. Cependant, ce n'était rien comparé à ce que j'ai ressenti lorsque j'ai vu le char d'Abradate revenir, chargé des dépouilles des ennemis, et sur ce trophée sinistre, le corps de mon héros, couvert de blessures, inerte, mort et ensanglanté. Cyrus ! Panthée ! Victoire désastreuse ! Quelle vision pour mes yeux et quelle souffrance pour mon cœur ! Ma peine est si grande que je m'étonne que mon corps ne m’ait pas encore privée de cette douleur. Tout ce que je vois me désespère, tout ce que je ressens est d’une douleur atroce. Cyrus, rappelez-vous lorsque la passion injuste d'Araspe m’a donné une raison légitime de me plaindre, et si j'avais choisi la mort, j'aurais préservé la vie d'Abradate, assuré mon honneur et vous n'auriez pas eu de motif pour accuser un homme que vous respectiez et qui vous était cher. J'aurais satisfait mon mari, ma propre gloire et le grand Cyrus. J’aurais dû le respecter en ne me plaignant pas de son ami. Si j'avais été raisonnable, la mort m'aurait empêchée de me lamenter à cette époque et de pleurer aujourd'hui. Mais le destin en avait décidé autrement. Que les dieux veuillent bien que dans cette tragédie aussi sombre que la mort d'Abradate, je puisse montrer à la postérité que Panthée était la digne épouse d'Abradate et qu'elle n'était pas indigne de la protection de Cyrus. Je vois bien par la splendeur des ornements que vous m'avez envoyés que vous avez l'intention de célébrer les funérailles de mon cher Abradate. Mais maintenant, sa gloire est la seule chose à laquelle je puisse prêter attention. 69