Maintenant, après avoir été ma propre accusatrice, je voudrais dire quelque chose pour ma défense. Je dirais, Collatin, sans rien contredire à la vérité, que je n'ai fané ma renommée que pour avoir trop aimé la renommée elle-même. Les flatteries de Sextus Tarquin n'ont pas touché mon cœur, sa passion ne m'a pas conquise, ses présents n'ont pas corrompu ma fidélité, ni l'amour ni l'ambition ne m'ont ébranlée. Mon erreur a été simplement que j'ai trop aimé ma réputation. Oui, Collatin, mon crime réside dans le fait d'avoir préféré ma renommée à la véritable gloire. Lorsque l'insolent Sextus Tarquin est entré dans ma chambre, que je me suis réveillée et l'ai vu tenant un poignard à la main, et qu'il a commencé à me parler de sa passion pour moi, les dieux seuls savent quels ont été mes sentiments à ce moment-là et à quel point la mort m'a semblé humiliante. Dans cet état, j'ai méprisé également les demandes et les menaces du tyran. Ses offres et ses revendications ont été toutes deux rejetées. Ni l'amour ni la peur n'ont été efficaces sur moi. Je n'ai pas craint la mort, au contraire, je l'ai désirée plus d'une fois. Mon éthique n'a eu rien à combattre ce soir-là. Je n'ai pas hésité à préférer la mort à l'amour de ce tyran. Il n’y a aucun supplice terrifiant que je n'aurais enduré avec joie pour préserver mon honneur. Mais lorsque ma tempérance a épuisé la patience du tyran, lorsqu'il a vu que ses prières, ses larmes, ses cadeaux, ses promesses, ses menaces, et même la mort, ne pouvaient atteindre mon cœur, ce barbare, commandé par la fureur, m'a dit que si je lui résistais encore, non seulement il me poignarderait, mais il poignarderait également un esclave qui l'accompagnait et le mettrait dans mon lit, afin que l’on puisse croire que j'ai oublié ma pureté avec cet esclave. J'avoue avec honte que ces paroles ont produit dans mon esprit un sentiment que la certitude de la mort n'avait pas réussi à éveiller. J'ai perdu ma raison et ma force, j'ai cédé à l’oppresseur, et la crainte de devenir haïssable pour la postérité est la seule chose qui m'a retenue. Non, Collatin, je ne pouvais supporter que l'on puisse m’accuser d'avoir manqué à mon honneur et que ma mémoire soit éternellement bafouée. C'est ce qui m'a empêchée de mourir à cet instant, et c'est ce qui m'a fait vivre jusqu'ici. J'ai tout fait pour m'opposer aux violences du tyran, excepté risquer la mort. Je voulais vivre pour préserver ma réputation et ne pas mourir sans vengeance. Une fausse conception du véritable honneur s'est emparée de mon esprit et m'a fait commettre un crime dont je craignais d'être accusée. Pourtant, les dieux sont témoins que mon âme et ma volonté sont pures. Je n’ai pas donné mon consentement dans cette sinistre aventure, ni au début, ni dans son déroulement, ni à sa fin. Tu sais, Collatin, lorsque tu m’as présenté ce tyran comme ton ami, je n'ai pas sciemment suscité son abusive passion. J’ai à peine levé les yeux pour le regarder. Et la modestie dont j’ai témoigné en cette journée devrait suffisamment te rappeler que je n'ai pas attiré sur moi l’attention et donc le malheur qui m'est arrivé. Depuis lors, je n'ai pas revu ce traître de Sextus Tarquin jusqu'au jour où il a souillé ma chasteté. Mais les tyrans n'ont aucun pouvoir sur la volonté ! 79