J'ai imploré sa clémence pour des ingrats, je me suis rangée du côté des ennemis de Coriolan. Et même si la victoire lui était assurée, s'il était prêt à se venger de ceux qui l'avaient autrefois exilé et à enchaîner ceux qui l'avaient insulté, son grand cœur, que personne n'avait pu émouvoir, a finalement été touché par sa mère. J'ai réprimé en lui le désir de vaincre Rome et obtenu ce que j'avais demandé. Tout cela, tu le sais aussi bien que moi, Volumnia, je ne te rappelle toutes ces choses que pour amplifier ma douleur. Il me semble encore entendre la voix de Coriolan ! Lorsqu'en jetant ses armes pour venir m'embrasser, il s’est écrié en soupirant : « Mère, qu'as-tu fait ? Tu as remporté une victoire bien glorieuse pour toi et bien heureuse pour ta patrie, mais bien malheureuse pour ton fils. » Volumnia, ce soupir était malheureusement véridique ! Les mêmes armes qu'il a jetées pour venir à moi ont été utilisées contre lui. Les Volsques ont alors saisi des poignards et lui ont transpercé le cœur. C'est moi qui suis responsable de ce destin, car j'ai trahi mon fils en le livrant démuni entre les mains de ses ennemis, après avoir déjoué leur invasion et leur vengeance sur les Romains. Mais comment ai-je pu m'imaginer que les choses se passeraient autrement ? Étais-je la mère de tous les Volsques pour croire qu'ils renonceraient, par amour pour moi, à la victoire qu'ils étaient prêts à remporter ? Quel droit avais-je de leur demander la liberté de Rome, leur ennemie ? J’aurais dû penser qu'ils se vengeraient sur mon fils de la perte que je leur avais causée. Oui, Volumnia, j’aurais dû prendre en compte toutes ces choses. Et même si Coriolan ne pouvait pas revenir à Rome, il aurait au moins fallu l’accompagner dans son malheur. Comme il avait surmonté sa rancune envers Rome pour moi, il aurait fallu que je quitte mon pays par amour pour lui. Mais toi et moi, Volumnia, nous n'avons pas agi ainsi. J'ai laissé partir Coriolan, entouré de ceux qui lui ont ôté la vie, et je suis revenue à Rome en vainqueur, jouissant du fruit de cette triste victoire. Lorsque le Sénat nous a demandé à notre retour, Volumnia, ce que nous voulions en récompense de notre action, il aurait fallu réclamer le retour de Coriolan et non la permission de construire un temple à Fortuna. Il semble que cette divinité n'ait pas approuvé notre élan, car elle ne nous a pas fait bénéficier de ses avantages. Les dieux auraient sans doute préféré que nous soyons reconnaissantes envers Coriolan. Ce temple qui a été construit est un signe de notre vanité, et non de notre gratitude. Nous cherchions notre propre gloire, et non celle de notre sauveur. Pourtant, il la méritait plus que nous. Il aurait fallu élever des autels à la bonté de mon fils, et non à la nôtre. Celui qui a su vaincre sa rancune, sauver son pays et céder la victoire aux larmes de sa mère méritait sans doute mieux que nous l'honneur qui nous a été donné. Sa dévotion aurait dû recevoir un traitement plus favorable du ciel. Car même s'il y a des Romains assez injustes pour dire que Coriolan n’aurait dû abandonner ses armes que par considération pour Rome et non pour moi, et qu'en conséquence, il y a plus de faiblesse dans son action que de générosité, je ne suis pas de leur avis, et j'espère que la postérité sera du mien. 84