Qui aurait dit autrefois à la pauvre Eudoxie, lorsque le philosophe Léontias, son père, lui enseignait l’éthique, que la sienne serait un jour soupçonnée ? Je ne l'aurais jamais imaginé. À l’époque, la simplicité de ma conduite, le peu d'ambition que j’avais et les modestes murs de ma cabane semblaient me protéger de la calomnie. L'innocence régnait dans mon âme, j’étais satisfaite de ma condition, je cherchais seulement l'acquisition des connaissances et de la sagesse. Mon unique désir était d'apprendre le bien et de le mettre en pratique, cela constituait ma source de plaisirs et d'occupations. Ce n'est donc pas la fille de Léontias qu'on accuse, mais la malheureuse impératrice d’Orient. Je suis maintenant l'épouse d'un grand empereur, je suis une personne exposée aux yeux d'une cour prestigieuse, une personne à qui la nature a accordé quelques avantages, à qui le destin a offert la première couronne du monde et l'amour du plus grand prince de la terre. Toutes ces circonstances rendent mon infortune plus vraisemblable. Les grandes tragédies ne se produisent que dans les demeures des grands princes. La foudre tombe plus souvent sur les palais vaniteux des rois que sur les cabanes des bergers, et la mer cause davantage de naufrages que les rivières. Il ne faut donc pas s'étonner si l’impératrice est plus malheureuse que l’Athénienne, même si je suis tout aussi innocente et méritante sous le glorieux titre que je porte d'impératrice d'Orient que je l'étais sous le nom que mes parents m’ont donné. Si le destin m'avait enlevé les choses sur lesquelles il exerce son pouvoir, s’il m'avait arraché le sceptre que je porte, après l'avoir reçu de ta main, s’il m'avait ôté la couronne qui repose sur ma tête, si tes sujets s'étaient mutinés contre moi et m'avaient fait tomber du trône, me jugeant indigne d'y rester, je supporterais ces événements sans me lamenter. Oui, Théodose, ce destin aveugle, habitué à protéger le mal aux dépens du bien, qui ne donne des présents que pour les retirer, qui ne consolide les empires que pour les détruire, qui renverse tout ce qu’il établit, ce destin ne viendrait pas à bout de ma patience. Je renoncerais sans regret au sceptre, à la couronne, au trône, à la cour et à l'empire, ainsi qu'à toutes ces choses brillantes qui accompagnent la royauté, si je pouvais retourner dans ma solitude avec ton estime et ton affection. Ces deux éléments ne doivent pas être soumis à la décision du destin. Il peut t’enlever le pouvoir et l'empire, il peut même te réduire en esclavage, mais il ne peut pas te rendre injuste. Tu es seul maître de ta volonté, de ta haine, de ton estime et de ton affection. L'être humain possède le privilège d'être libre au milieu des chaînes et d'être le maître absolu de ses sentiments. Cela signifie que tu dois répondre avec exactitude des tiens. Cependant, le respect que j'ai pour toi m'empêche de t’en vouloir pour ce que tu ressens à mon égard, bien que certainement mon innocence rende ces sentiments illégitimes. C'est par respect que je me considère comme indigne plutôt que de te qualifier de coupable. Mais on accuse injustement le destin de quelque chose dont on est seul responsable. En réalité, ce n'est pas le destin qui m’a donné de sa main que je tiens le sceptre que je porte. 92