Ce n'est pas lui qui a posé la couronne sur ma tête. Sa volonté ne m'a pas propulsée sur le trône. Son caprice ne m'a pas fait devenir ton épouse. Toutes ces choses, Théodose, sont le résultat de mon mérite, de ta bonté ou de ton aveuglement. Si c’était de la bonté, mon père m'a enseigné il y a longtemps que seul un acte bienveillant méritait d’être répété. Il croyait que les actions méritantes l’étaient uniquement si elles étaient associées à la cohérence. Si tu penses que c’était de l’aveuglement, ne me retire pas ce qui m'appartient, car étant la même que j'étais à l’époque, tu es tenu de garder la même opinion que tu avais de moi. Mais si tu affirmes que je suis une erreur de jugement et que tu n’as pas trouvé en moi le mérite que tu pensais trouver, je ne contesterai pas cela, dépouille- moi de tout ce que tu m’as donné, mais ne m'enlève pas l'innocence que j’ai reçue du ciel. Lorsque je suis arrivée à ta cour, ma réputation était sans tache. Peu de gens parlaient de moi, mais tous en disaient du bien. Aujourd'hui, tous les peuples parlent de moi selon leur envie, sans que je sache pour autant ce qu'ils disent. Mais ça m’est égal, car c'est auprès de toi que je veux me justifier. Sache que ceux qui font le bien parce qu'ils sont bons, et non pour mieux paraître, se soucient peu de l'injustice que le monde fait à leur réputation. Ils trouvent leur satisfaction en eux-mêmes, sans la rechercher chez les autres. Ainsi, les sages peuvent parfois être innocents et très heureux, alors que le capricieux qui ne juge que par les apparences les croit coupables et malheureux. Mais Théodose, étant donné l'affection que tu as eue pour moi et celle que j'ai pour toi, je veux me justifier devant tes yeux. Mon père me disait souvent : « Ma fille, souviens-toi de ne pas chercher à acquérir l'estime des autres, mais de chercher à obtenir ta propre estime. Sois juge et partie, cherche à te satisfaire, examine tes sentiments, plonge au plus profond de ton cœur pour savoir si la sagesse y règne. Mais ne te vénère pas, penche plutôt vers la rigueur que vers l'indulgence envers toi-même. Et lorsque après une recherche minutieuse de tes intentions, tu seras parvenue au point où tu seras satisfaite de ton jugement, ignore la gloire du monde, moque-toi de la diffamation et sois plus heureuse d'avoir ta propre estime que si tu avais celle des plus grands princes de la terre. » Donc, selon ce raisonnement, je ne peux pas être sereine tant que la meilleure partie de moi-même ne me croira pas innocente. Laisse-moi donc te revenir sur les circonstances de mon accusation afin que cette partie de mon cœur qui réside en toi, une fois que tu seras convaincu de mon innocence, puisse me laisser m’en aller avec tranquillité dans la solitude que je recherche. Lorsque je suis venue à Constantinople pour me réfugier de mes frères qui me refusaient le christianisme, la sage Pulchérie n'a pas rejeté ma demande. Elle m'a écoutée et m’a permis de perdre ma cause de manière avantageuse tout en m’octroyant des biens qu'elle n’aurait pas dû m’accorder. En ce temps-là, je me serais contentée d’une pauvre cabane et de trois pieds de terre pour me mettre à l'abri de la nécessité. Mais aujourd'hui, il s'agit de l'honneur de l’Athénienne, mais aussi de celui d'Eudoxie, ta femme. 93