Tu es donc obligé de m'écouter et de me rendre justice. Je pense que ce qui provoque toute ta colère et toute ma douleur, c'est que j'ai donné quelque chose que tu m’avais offert. Et ensuite, pour cacher une action qui ne te plaisait pas, j'ai utilisé un mensonge. Voilà l’unique crime que j'ai commis. J’ai tellement craint de te décevoir que je t’ai déçu. Lorsque tu m’as donné ce fruit exotique qui a causé ma malchance, je l'ai accepté avec joie, autant pour sa beauté que parce qu'il venait de toi. J'ai pris plaisir à le contempler, mais persuadée qu'il était plus adapté à être regardé qu’à être mangé, et ne voulant pas le détruire, j'ai cherché ce que je pouvais en faire. À cette époque, Paulin était malade. Alors, l'idée de lui rendre visite m'est venue. Pensant que je ne pouvais pas mieux utiliser ce don que tu m’avais fait qu'en l’accordant à une personne que tu aimais et qui en avait besoin, je le lui ai donné à mon tour. Mais Paulin n'a pas caché ma générosité, car comme je ne lui avais pas appris que je l'avais reçue de toi, le même sentiment qui m'avait poussée à lui offrir cette pomme a sans doute fait en sorte que, pour me témoigner l'estime qu'il portait au cadeau que je lui avais fait, il a voulu le confier à quelqu’un de plus digne que lui. Si tu me dis que je n’aurais jamais dû me séparer de tes présents, car tout ce qui provient de la personne aimée doit être aussi précieux que la vie elle-même, je serai d'accord avec toi, puisque c'est l'un de mes arguments pour me justifier. Mais ici, il y a une distinction, car l'amour des hommes peut conduire à une multitude de réactions, et chaque situation que cette passion produit est unique. L'affection entre un mari et une femme n'est pas semblable à celle entre un amant et une maîtresse, même si ce sont les mêmes personnes et que l'amour brûle toujours autant dans leur cœur qu'avant leur mariage. Leurs sentiments sont différents de plusieurs manières. Ils sont plus solides et moins artificiels, et toutes les folies qu’une liaison non maritale procure ne se trouvent pas dans leur cœur. Ainsi, si Paulin avait éprouvé de la passion pour moi, il aurait soigneusement gardé cette pomme que je lui ai offerte, avec prudence et jalousie, car il est certain qu’à travers une telle affection, les moindres choses provenant de la personne aimée sont d'une valeur inestimable et qu’on pourrait mourir pour celle-ci. Mais dès qu'il a reçu ce présent de ma part, il te l'a donné et on peut dire qu'il avait plus l'intention de te plaire que de me satisfaire. Pour moi, je n'aurais jamais imaginé que tu puisses blâmer le fait que je donne quelque chose que tu m’as offert, ou que la générosité soit une qualité que je ne puisse pas avoir. Car, si je ne dois donner que ce que tu ne m’as pas offert, alors je devrais me donner moi-même, n'ayant apporté à ton palais que la simplicité et l'innocence que l'on cherche à me voler aujourd'hui. Quoi, ne te souviens-tu pas des richesses considérables que tu m’as accordées ? J'en ai fait don et enrichi des villes entières à plusieurs fois. Théodose aurait-il permis que je dispense de l'or, des perles et des diamants à des centaines de personnes qui lui étaient inconnues, alors qu’il n’approuverait pas le fait que j'aie fourni un simple fruit à un homme qui en avait besoin et pour qui Théodose avait de l’affection ? Non, cela n'était pas logique, et même Pulchérie, aussi perspicace qu'elle soit et qu'elle pense l'être, aurait été d'accord avec moi. 94