Car si je devais prendre soin de quelqu'un après toi, ce devrait être de Paulin, et je peux même dire que je le lui devrais plus qu'à mon père et plus qu'à toi-même. Mon père m’a donné la vie et tu m’as offert le trône, mais je peux affirmer que Paulin, en m’enseignant les lumières de la foi, mérite plus ma reconnaissance que quiconque sur cette terre. Oui, je lui dois mon accès au paradis si mon innocence et mes actions me permettent de l'atteindre. Tu sais que c'est lui qui m'a convertie. Aucun de tes savants n’a pu me convaincre, c'est lui seul qui m'a ouvert les yeux, m'a montré l’incohérence de ma religion, et m’a poussée à entrer dans la tienne. Tu vois que le commencement de notre amitié était trop saint pour qu’elle devienne par la suite, que celui qui m'avait ouvert les portes du ciel ne m'aurait jamais conduite sur le chemin de l'enfer. De plus, sache que même si j’étais encore l’Athénienne d’autrefois, c'est-à-dire adepte de cette religion où tous les crimes sont autorisés par l'exemple des dieux que j’adorais, je resterais tout aussi innocente. La pureté est une qualité connue de tout temps et de toutes les nations, elle m’est si essentielle que rien ne saurait la chasser. Juge si étant d'une religion où la modestie est récompensée, j'aurais pu agir contre toi et contre moi-même. Je pense sincèrement que je t’ai fait comprendre que je pouvais donner ou non sans commettre de crime et que je t’ai montré avec suffisamment de cohérence que la bonté que Paulin a pour toi justifie la bonté que j’ai pour lui. Maintenant, en ce qui concerne le mensonge que j'ai dit en t’annonçant que j'avais mangé ce fruit, c’est vrai que j’aurais dû te dire la vérité. Mais cette erreur ne constitue pas un crime. Lorsque tu m’as demandé où était cette pomme, j'ai remarqué du bouleversement sur ton visage et de la colère dans tes yeux, la peur de te fâcher s'est emparée de moi et je n’ai pas réfléchi. Considère que s'il y avait eu une relation particulière entre Paulin et moi, dès que tu m’aurais parlé de cette pomme, je me serais douté que tu en savais quelque chose. Et dans ce cas, par une fausse sincérité et par sournoiserie, j’aurais trouvé une excuse pour te dire que j'avais envoyé ce fruit à Paulin. Mais comme je n'avais rien à me reprocher, j'ai inventé un mensonge innocent pour te faire plaisir sans craindre qu'il soit mal interprété. J'ai commis une erreur car j’avais peur d’en commettre une, et une tendresse trop méfiante a fait que j'ai perdu la tienne. Comme je n'étais pas préparée à cette accusation et que je ne connaissais pas le crime dont on m’accusait, je ne t’ai alors répondu qu'avec des larmes. Mon silence et mon respect ont été les seules défenses que j'ai employées pour me justifier. Une fierté un peu trop scrupuleuse et austère a fait que j'ai cru que je me salirais en me justifiant d'une telle chose. Je pense même que je ne t’en aurais pas parlé si je n'avais pas eu l'intention de m'éloigner de toi. Mais Théodose, je te demande pardon pour tout ce que j'ai dit. Tu n’es pas responsable de mon malheur, je ne t’accuse plus. Je l'accepte comme une punition pour mes erreurs passées. J'ai défendu trop longtemps la cause des dieux grecs pour gagner la mienne aujourd'hui, et il est juste qu'après avoir ardemment soutenu cette cause, j’en subisse les conséquences. Lorsque je parle d'une vérité qui compte pour moi, je ne considère pas cela comme un mensonge. 95