pourrait même que des personnages brillants, grâce à l'estime qu'ils auront pour vos œuvres, vous fassent discourir dans des langues qui n'ont pas encore été inventées, et que, dans le rayonnement de votre gloire, ils pensent ajouter quelque chose à la leur en les publiant. Parlez donc, Théopompe, parlez donc, Isocrate, des valeurs de Mausole et de l'amour d'Artémise afin que tous les hommes en parlent après vous. Mais ne vous imaginez pas qu'il y a une quelconque vanité dans ma demande. Non, Isocrate, je ne souhaite pas que vous cherchiez en ma personne ou dans ma vie de quoi faire un éloge magnifique. Je ne veux pas que vous racontiez que je suis née avec la couronne d'Halicarnasse. Je ne veux pas que vous révéliez que, malgré ma condition de femme, j'ai su exercer l'art de régner. Je ne veux pas que vous appreniez à la postérité l'estime extraordinaire que le grand Xerxès avait pour moi. Je ne veux pas que vous disiez que j'ai fait le voyage de Grèce avec lui. Je ne veux pas que vous disiez que j'occupais la première place à son conseil et que mes recommandations étaient toujours suivies. Je ne veux pas que vous parliez des exploits que j'ai accomplis pendant cette guerre ni de la récompense excessive que les Athéniens promettaient à quiconque me remettrait entre leurs mains. Je veux simplement que vous affirmiez qu'Artémise était reine de Carie parce qu'elle avait épousé Mausole qui en était roi, qu'Artémise n'a jamais eu d'autre passion que celle d'aimer parfaitement son mari, qu'après l'avoir perdu, elle a perdu le désir de vivre, et enfin qu'après ce malheur, Artémise n'a eu d'autre préoccupation que de perpétuer sa mémoire. Mais après avoir dit toutes ces choses et avoir loué Mausole autant qu'il le méritait, après avoir exposé ma douleur, ou plutôt mon désespoir aussi intense qu'il est, n'oubliez pas d'apprendre à la postérité qu'après avoir fait construire le monument le plus somptueux jamais vu, je n'ai pu trouver une urne digne de contenir ses cendres. Le cristal, l'albâtre et toutes les pierres précieuses produites par la nature ne semblaient pas exprimer suffisamment mon affection. Il ne suffisait pas d'être seulement magnifique et généreux pour lui donner une urne en or recouverte de diamants, mais pour lui offrir mon cœur comme urne, il fallait être Artémise. C'est là, Isocrate, que je renferme les cendres de mon cher seigneur ; c'est là, Théopompe, que je dépose ces chères reliques, attendant avec impatience que son tombeau soit prêt à recevoir cette immortalité que je lui ai prodiguée. C'est véritablement mon cœur qui doit servir d'urne aux cendres de mon cher Mausole. Il me semble que je leur donne une nouvelle vie en les plaçant ainsi, et il me semble aussi qu'elles me communiquent cette froideur mortelle que je ressens. Et il est juste que Mausole, ayant toujours été dans mon cœur tant qu'il a vécu, y soit encore après sa mort. Si j'avais mis ses cendres dans cette urne en or entièrement recouverte de pierreries, peut-être qu'avec le temps, quelque conquérant injuste serait venu ouvrir son tombeau, emporterait l'urne, disperserait les cendres au vent et séparerait les miennes de celles de Mausole. Mais de la manière dont je procède, nous serons inséparables. Aucun tyran ne peut troubler ma paix, car il n'en existe aucun capable de m'éloigner de mon cher seigneur. Voilà, Isocrate, ce que vous devez dire, voilà, Théopompe, ce que je veux que 10