voulu prendre aucune mesure pour sa propre sécurité. Il aurait dû suivre le conseil de ses amis. Mais il était trop généreux pour être capable de cette prudence qui ressemble tant à de la peur et qui produit souvent les mêmes effets. De plus, il croyait qu'en prouvant aux Romains la sincérité de ses intentions, il n'aurait pas besoin d'autres précautions pour sa sécurité. Il ne manquait aucune occasion de montrer aux Romains qu'il préférait sa qualité de citoyen romain à toute autre. Un jour qu'il rentrait d'Albe, certains en le saluant l'ont appelé roi, mais il leur a répondu qu'il s'appelait César et non pas roi. Oui, César, tu avais raison de préférer ce nom à celui de roi. Tu l’as rendu si grand que tu ne pouvais l'abandonner sans perdre au change. Après avoir vécu en tant que César, il fallait mourir en tant que César. Tu te souviens aussi, Lépide, que lorsque le Sénat lui a accordé de nouveaux honneurs, il a fait preuve d'une extrême modestie en disant que ces honneurs auraient plutôt dû être réduits qu’augmentés. Tu sais également que lorsque Marc Antoine, par un dévouement inconsidéré, lui a présenté la coiffe royale, il l'a refusée à deux reprises et a ordonné qu'on la place sur la statue de Jupiter, comme pour dire que les Romains ne devaient être gouvernés que par les dieux eux-mêmes. Que pouvait-il faire de plus pour montrer aux Romains qu'il ne voulait pas de la tyrannie que refuser publiquement la marque de la royauté ? Voulait-on qu'il fasse mourir Marc Antoine pour ce crime ? Non, cela n'aurait pas été juste, et celui qui avait pardonné cent crimes à ses ennemis devait aussi pardonner cette ardeur inconsidérée à l'un de ses amis. Je sais bien que les partisans de Pompée ont dit que César avait contribué à certaines faveurs excessives qui lui avaient été rendues afin de sonder la volonté du peuple. Mais sache, Lépide, que s'il y avait contribué, c'était dans le but de les refuser pour justifier ses intentions. Ah, Lépide, pour parler franchement, ce sont les amis, les flatteurs et les ennemis de César qui, tous ensemble, l'ont écrasé de couronnes de fleurs qu'ils ont jetées sur lui. Les premiers par excès d'affection, les seconds par désir de plaire et de s'enrichir, et les autres afin d’offrir un prétexte au peuple de critiquer César et de donner une apparence de bienveillance à leur complot contre lui. Mais dis-moi, Lépide, que pouvait faire d'autre César que refuser les honneurs qui lui étaient offerts ? D'ailleurs, s'il avait voulu être roi, cela aurait été totalement possible. Le même bras qui lui avait permis de conquérir tant de pays et remporter tant de victoires aurait assuré son empire. Il était bien conscient des réalités du monde pour savoir qu'il ne pouvait pas accéder au trône par la douceur et le consentement de tous les Romains. Il savait sans aucun doute qu'on arrache les couronnes, qu’on ne les accepte pas volontairement. S'il avait eu l'intention de se faire roi, il aurait utilisé la force et non la douceur. La Gaule lui aurait fourni une armée suffisamment puissante pour cela. Après tout, avec cinq mille soldats à pied et trois cents cavaliers, il avait fait fuir Pompée et s'était rendu maître de toute l'Italie. Après la bataille de Pharsale, il n'aurait pas été plus difficile pour lui de s’emparer de l'autorité suprême. Les Gaulois l'auraient suivi avec joie et seraient venus à Rome pour récupérer le butin que les légions romaines leur avaient autrefois pris. 110