Cela ne peut pas être toléré par une personne raisonnable, et cela n’est pas pardonnable pour Brutus, même si César avait été un tyran. Pourtant, Lépide, c'est cet ingrat, ce traître, qui a été le chef de la conspiration et qui lui a porté le coup mortel. Quoi, Brutus ! Vous avez pu frapper celui qui vous a sauvé la vie ! Quoi, barbare ! L'épée ne vous est pas tombée des mains lorsque César, vous voyant venir vers lui comme les autres, a cessé de se défendre et vous a même dit avec plus de tendresse que de colère : « Toi aussi, mon fils ! » Quoi, ces paroles n'ont pas touché votre âme et vous avez pu tuer César ! Ah non, Brutus, si vous aviez eu un peu d’équité, vous auriez dû abandonner une si mauvaise initiative. Vous auriez dû combattre pour César, lui rendre la vie qu'il vous avait donnée, ou si vous ne pouviez pas, effacer votre ingratitude avec votre sang et vous tuer sur le corps de César. Mais qu'est-ce que je fais, Lépide ? Je m'emporte dans ma douleur. Cette image de la mort de César irrite ma tristesse et ma colère chaque fois qu'elle se présente dans mon esprit. Sans l'avoir prévu, je change de sujet de conversation. Revenons donc à mon intention initiale et disons que même si l'innocence de César pouvait être remise en question en raison de ses actions pendant sa vie, elle est pleinement justifiée par ce qui s'est passé pendant et après sa mort. Le soin extraordinaire que les dieux ont pris pour l'avertir du malheur qui allait lui arriver démontre la pureté de son âme. Tous ces signes qui ont surgi dans le ciel, ces rêves qui m'ont effrayée, la main de ce soldat qui est apparue enflammée et celui qui lui a annoncé que les ides de Mars lui seraient funestes, ainsi que toutes les autres choses qui semblaient ralentir la conspiration, tout cela suffit à montrer que César n'était pas un homme ordinaire. Si la mort de César avait été un bien pour la République, les dieux n'auraient pas fourni autant de présages. Ils avertissent des malheurs afin que les hommes les évitent, mais ils envoient rarement des signes d’encouragement. Avec cette logique, on pourrait dire que Brutus a également été averti de sa mort. Ce spectre effroyable de la mort qui lui est apparu à deux reprises lui a été envoyé plutôt comme châtiment que pour lui donner l'occasion d'échapper au malheur qui l'attendait ou pour approuver son complot. Et puis qui a déjà eu de l’adoration pour les tyrans morts ? Quand ils sont vivants, on les craint, mais quand ils sont morts, on traîne leurs corps sur les places publiques, on les déchire en morceaux, on change les lois qu'ils ont établies, on abat leurs statues. Leur mémoire est détestable, et ceux qui les ont tués vivent en sécurité et avec honneur. Mais en ce qui concerne César, même mort, on lui a témoigné du respect. Les droits mis en place de son vivant ont été respectés par les Romains et ont semblé sacrés. Sa toge ensanglantée et toute percée par les coups qu'il avait reçus ont suscité de la douleur dans l'âme de tous les citoyens. Son testament, qui les enrichissait tous, a été écouté comme celui du père de la patrie. Le peuple lui a fait un bûcher plus glorieux pour sa mémoire que s'il avait reçu les funérailles les plus grandioses réservées aux rois, car c'était un témoignage de leur affection et du même feu qui avait consumé mon cher César. Son ombre a voulu embraser les maisons de ses meurtriers. Le 112