position que j'occupe aujourd'hui. Oui, Mécène, c'est toi qui as surmonté les puissantes raisons d'Agrippa ce jour où Octave débattait en lui-même s'il devait conserver le pouvoir suprême ou le remettre entre les mains du peuple. Ce grand empereur voulait se dépouiller de la couronne qu'il avait sur la tête, abandonner les rênes de l'empire, descendre du trône qu'il avait atteint après de si longs labeurs et, par un abandon plus honteux que la fuite d'Antoine à la bataille d'Actium, perdre la récompense de tant de victoires remportées. On pouvait dire que la fuite d'Antoine avait pour cause l’amour, mais ici on ne pouvait justifier celle d’Octave que par la faiblesse. On affirmait que sa main n'était pas assez forte pour porter le sceptre qu'elle tenait, et qu'il renonçait à ce qu'il ne pouvait pas conserver. Mécène, tu n’avais pas de faibles ennemis à affronter car tu étais devant Octave et Agrippa et ils s'opposaient à toi. Leur opinion semblait la plus juste, car elle paraissait la plus altruiste. Et l'on aurait dit qu'il y avait plus d’honneur à dissoudre l'Empire qu'à le consolider et plus d'avantages à obéir qu'à commander. Mais tu as été le vainqueur dans ce combat, et d'une manière tout à fait extraordinaire le vaincu est resté couronné. Et tu t’es contenté d'obéir à celui à qui tu as permis de conserver l'autorité. Cette dette que l'empereur a envers toi est sans aucun doute très grande, mais il t’est encore plus redevable pour l’effort que tu as fait pour le rapprocher de la bienveillance des Muses. C'est par ce moyen que tu peux lui offrir l'immortalité et te la donner à toi-même. C'est ainsi que le siècle d’Octave peut être qualifié d’heureux. Et je pense qu'il est plus avantageux pour l'empereur d'être aimé de Virgile, d'Horace, de Tite-Live et du célèbre Mécène que d'être craint par toute la terre. La crainte qui le rendrait redoutable à toutes les nations les ferait obéir aussi longtemps qu'il serait en vie, mais les louanges de Virgile et d'Horace le rendront mémorable pour tous les siècles qui suivront le nôtre. Évidemment, Mécène, si tous les rois étaient animés par le désir et la gloire, ils devraient réfléchir à s'attirer l'affection de ceux que les dieux ont choisis pour transmettre cette gloire. C'est par l'histoire et par la poésie qu'ils peuvent parvenir à immortaliser leurs noms et prétendre vivre après leur mort, face au ravage du temps et du destin. Mais entre ces deux moyens qui mènent à l'éternité, la poésie semble avoir l’avantage particulier de diviniser les hommes. Elle est entièrement céleste et divine. Le feu qui l'anime éclaire et purifie tous ceux dont elle fait l’apologie, et sans transformer la vérité, elle excuse les défauts et met en valeur les bonnes qualités avec tous leurs intérêts. L'histoire nous montre la vertu toute nue, et la poésie l’habille de ses plus beaux ornements. L'histoire est si scrupuleuse qu'elle n'ose rien déterminer, elle se contente de raconter les choses sans les juger. Mais la poésie juge de tout. Elle glorifie, blâme, punit, récompense, donne des couronnes et des châtiments, elle illumine ou obscurcit la vie de ceux dont elle parle. En résumé, elle possède tous les avantages de l'histoire et de l'éloquence, et elle diffuse cette gloire immortelle qui est la récompense la plus noble de toutes les actions des héros. 118