De plus, l'historien aborde une multitude de thèmes, ce qui rend presque inévitable que le règne du prince dont il raconte la vie soit lié à celles de ses sujets. Il utilise sa plume pour tous les criminels de cette époque, tout autant que pour les personnages honorables. Il n'a pas la liberté de choisir son sujet, il doit le prendre tel que le temps et le hasard le lui offrent. Le prince et ses sujets sont si mêlés qu'on ne peut presque jamais les distinguer, sauf dans les armées, les lieux publics et la foule populaire. Le poète, en revanche, sépare le prince du peuple. Il choisit son thème et sa matière, il suit son héros jusqu'à la tombe, il ne parle que de ce qui lui plaît et aborde les péripéties lorsqu'il les juge utiles. Donc, l'objectif de l'historien est simplement la vérité, tandis que celui du poète est la gloire et l'immortalité de son héros. Tu peux voir que je suis d’accord avec toi et que les conversations entre Octave et Mécène m'ont donné suffisamment de connaissances sur tout ce qui concerne la poésie pour en parler raisonnablement. Cela étant dit, je pense pouvoir affirmer que les rois devraient déployer tous leurs efforts pour se faire aimer des poètes, et qu’Octave t’est plus redevable de l'amitié d'Horace et de Virgile que de l'avoir empêché d'abandonner le pouvoir. Alexandre avait certainement raison d'envier le destin d'Achille, car il avait eu l'avantage d'avoir Homère pour perpétuer sa gloire. Mais Octave n'a pas à se plaindre de son époque puisque les dieux lui ont donné des amis tels que Virgile, Horace et Mécène. Cependant, je crois qu'il a des raisons de condamner le destin de l'avoir contraint à exiler Ovide. Tu sais néanmoins le regret qu'il a exprimé à ce sujet et combien il a eu du mal à te refuser son pardon. J'avoue, Mécène, que je crains que l'exil d'un esprit si brillant soit un jour plus reproché à Octave que tous les bannissements du triumvirat. Ces individus capables d'assombrir ou d'illuminer toute la vie d'un prince devraient être profondément craints ou aimés. Par bienveillance ou par intérêt, ils devraient être vénérés par tous les rois de l'univers. Les vainqueurs peuvent ériger des trophées, construire des arcs de triomphe, mettre leurs statues sur les places publiques, et graver de magnifiques inscriptions sur leurs tombes pour immortaliser leur gloire. Cependant, toutes ces choses tombent forcément en ruine, s'enfoncent sous terre et sombrent dans l'oubli. Leur mémoire périra avec le marbre qu'ils ont édifié. Mais lorsqu'un véritable poète digne de ce nom entreprend de protéger un héros, il est en mesure de défier l'envie, le temps et le destin. Rien ne peut entretenir davantage sa réputation, son protecteur ruine tous ses ennemis et, de siècle en siècle, lui offre une nouvelle vie et lui confère un nouvel éclat. Les écrits de Virgile et d'Horace ne rendront pas seulement Octave célèbre dans les écrits, mais aussi partout où l'on admirera ces auteurs. Ceux qui liront avec étonnement et admiration l’Énéide de Virgile trouveront que ce prince mérite d'être envié par tous les monarques du monde, car il a pu obtenir les éloges et l'amitié de l'homme le plus talentueux de tous les siècles. Ceux qui liront les œuvres d'Horace réaliseront combien il est avantageux pour Octave d'avoir mérité la bienveillance d'un homme capable de guider l'esprit vers le bien en critiquant le vice, et d'avoir une place plus importante 119