dans ses poèmes musicaux que dans ses critiques. Chaque fois que je contemple les bénéfices et les charmes de la poésie, ma passion grandit. Je dirais que la chasteté de Didon me plaît moins dans l'Histoire que sa faiblesse et son désespoir dans l'Énéide. Juge donc, Mécène, si ceux qui savent rendre le mal si agréable ne peuvent pas faire briller le bien avec toutes ses fantaisies. Que se passe-t-il lorsque ceux qui excellent à persuader les autres avec des mensonges ne parviennent pas à faire accepter la vérité ? Tu sais, Mécène, que certains osent affirmer que le Scamandre n'est qu'un petit ruisseau et que Troie n'a jamais existé. Cependant, Homère a trouvé crédit auprès de toutes les nations. Tous les héros qu'il introduit dans son Iliade ou son Odyssée ont leurs camarades et partisans. Et l'histoire la plus véridique n'intéresse pas autant les lecteurs que ces deux merveilleuses œuvres. Les princes devraient donc retenir que ceux capables d'immortaliser leurs fantasmes et leur imagination peuvent faire perdurer leur propre existence lorsqu’ils en deviennent dignes. Il revient à eux de chanter les victoires de leurs princes, mais c'est également aux princes de leur permettre de profiter des fruits de ces victoires. Ceux qui prétendent que les Muses ne recherchent pas le confort et que la solitude et la pauvreté sont nécessaires à la création de leurs œuvres changeront peut-être d’opinion quand ils sauront que la générosité d'Octave et de Mécène n'a pas empêché Virgile de réaliser des chefs-d'œuvre, qu'Horace a acquis une renommée universelle, et que Tite-Live a mérité une gloire impérissable. En effet, il est évident que ceux qui créent de belles choses lorsqu'ils travaillent par obligation accompliraient des merveilles s'ils ne travaillaient que par passion pour la gloire. Un objectif admirable élèverait leur esprit jusqu'aux cieux, tandis que la tristesse et la nécessité les abaissent et les aveuglent pour les faire ramper sur terre. Tout le temps qu'ils passent à se plaindre du destin, à accuser l'injustice de leur époque, à blâmer l'ignorance de leurs semblables et à dénoncer l'avarice de leurs princes serait mieux utilisé pour des sujets plus élevés. Je sais bien que la solitude, les fontaines, les rivières, les prairies et les bois ont toujours été considérés comme des lieux propices à la composition de belles œuvres, mais lorsque toutes ces choses appartiennent à celui qui les a créées grâce à son imagination, je ne vois pas en quoi elles seraient un obstacle à sa gloire. Et il décrira mieux la beauté de sa prairie que celle d'un autre, l'ombre de ses bois le protégera mieux de l'ardeur du soleil que celles de ses voisins, le murmure de ses fontaines lui procurera des réflexions plus paisibles que celles du public. Une rivière à laquelle il est attaché lui semblera plus opportune à une belle description que si elle était vue d'un œil indifférent. Et enfin, la solitude occasionnelle lui fournira des idées plus agréables que celles qu’il s’imposera. Il est vrai que les cabanes des bergers rendent un paysage plus chaleureux, mais comme les peintres les placent toujours en arrière-plan, les poètes devraient les voir lors de leurs voyages ou par les fenêtres de leurs palais. Comment peut-on imaginer qu'un homme qui passe toute sa vie dans l'inconfort, le chagrin et la solitude puisse parler de l'abondance qu'il n'a pas, de la magnificence qu'il ne voit pas, de la cour qu'il n'a 120