peut se reconnaître, sont glorieuses pour les princes uniquement si leurs noms ne sont dans aucune d’entre elles. En d'autres termes, leur silence constitue les plus grands honneurs qu'elles puissent offrir. Les épigrammes ne sont que des éclats de diamants dont la brillance, bien qu'éblouissante, ne saurait éclairer la vie d'un grand prince. Ces discours sont essentiellement le fruit de l'imagination, un exercice intellectuel qui peut préserver la réputation de celui qui maîtrise l'art de l'éloquence, mais pas celui de la poésie. La tragédie, bien qu'elle prétende enseigner tout en divertissant et qu'elle soit même considérée comme le chef-d'œuvre de la poésie, ne doit pas être aussi importante pour un prince que le poème héroïque. Celui qui compose des tragédies travaille davantage pour lui- même que pour son roi. Il réalise des œuvres, c'est un fait, mais son prince ne peut prétendre à une autre forme de reconnaissance que celle d'apprécier pleinement leur beauté, de les conserver soigneusement et de les récompenser le temps qu’il est en vie. Le poème épique est différent. C'est lui qui divinise les princes. Tout leur altruisme y apparaît avec éclat, leurs conquêtes y sont contées avec panache et leurs défauts, s'ils en ont, y sont habilement atténués. La fortune, la victoire et la renommée sont toujours de leur côté. Ils ne connaissent aucun ennemi qu'ils ne surmontent pas. Ils sont heureux, tant dans l’art de la guerre qu'en amour. Leur prestance se transmet de génération en génération. Et alors que les enfants ont l'habitude de tirer leur renommée de celle de leurs prédécesseurs sans mérite, ici, les prédécesseurs transmettent les plus grands avantages de leur puissance à leurs enfants et les rendent méritants eux-mêmes. La générosité d’Octave est la raison pour laquelle Virgile a immortalisé la piété d'Énée. Les conquêtes qu'il a réalisées feront vivre éternellement les exploits de son prédécesseur. C'est grâce à l’amour d’Octave que ce poète a conduit ce victorieux Troyen jusqu'au trône. Et en vérité, c'est lui qui l'a sauvé de l'embrasement de Troie, avec son père et ses dieux. Car sans Octave, ce héros serait sans doute resté enseveli sous les ruines imposantes et aurait sombré dans l’oubli. La postérité n'aurait pas entendu parler de sa vaillance, comme s'il n'avait jamais existé. Ainsi, il est de la responsabilité des princes de rechercher soigneusement parmi leurs sujets ceux qui sont capables d’effectuer un travail aussi majestueux, afin de les encourager par leurs faveurs à se lancer dans de grandes initiatives. Ceux qui peuvent donner vie à Hector, Achille ou Agamemnon dans une tragédie avec la même intelligence qu'Homère leur a donnée seraient capables d’écrire un récit aussi long, s'ils y étaient encouragés de bon cœur. Mais il est difficile de s'engager dans une telle course sans être assuré de trouver une récompense à la fin du parcours. Ceux qui participaient aux Jeux olympiques recevaient des couronnes à la ligne d'arrivée. Pourquoi donc un homme consacrerait-il ses efforts, ses jours, sa jeunesse et toute sa vie à un poème en ayant comme récompense le seul fait de l'avoir réalisé ? Mécène, cela ne serait pas juste. Et je le répète une fois de plus, il revient au prince de choisir 123