pouvaient tolérer une violation de l’accord publique, et les renvoyèrent donc à ce roi pour qu’il les punisse si tel était son désir. Lorsqu'elles se présentèrent à lui, il leur demanda laquelle d'entre elles avait proposé une fuite aussi audacieuse. Croyant qu'il demandait cela pour la punir, aucune ne voulut répondre. C'est alors que Clélie, téméraire, prit la parole et lui adressa à peu près ces mots. Clélie à Porsenna L'action que j'ai entreprise à une raison si héroïque qu'elle mérite la gloire. Le silence de mes compagnes est blessant pour moi, même si leur intention est bonne. J’aurais espéré, Porsenna, qu'elles seraient fières de me reconnaître comme leur libératrice et qu'elles manifesteraient ouvertement devant vous que c'est moi qui les ai guidées et que c’est grâce à mes conseils qu'elles ont quitté votre camp. Mais puisqu'elles m'ont contrainte à me glorifier moi-même car elles craignent que vous me maltraitiez, je vous dirai franchement que c'est moi qui les ai libérées de votre emprise. Ne pensez pas que leur silence soit une preuve de remords pour ce qu'elles ont fait. Non, elles ne doutent pas de la justice de notre action, mais elles doutent de votre capacité à respecter l’éthique, même chez vos ennemis. Quant à moi, qui suis incapable de craindre quoi que ce soit à part la perte de mon honneur, je vous le dis encore une fois : c'est par mes conseils, mes soins et sous ma direction que ces Romaines ont décidé de se libérer de votre emprise, de se jeter courageusement dans l’eau pour me suivre, et de risquer leur vie pour échapper au déshonneur de subir un traitement indigne de leur pureté. « Mes Romaines, leur ai-je dit pour les encourager à se jeter dans la rivière, comment pourriez-vous comparer votre vie et votre honneur ? Auriez-vous du mal à choisir de peur de perdre l'un ou l'autre ? Non, non, vous êtes des Romaines et mes compagnes, et par conséquent trop dignes pour ne pas préférer risquer de mourir avec honneur plutôt que de vivre dans la honte. Qui a déjà entendu parler de jeunes filles respectables dans un camp où l'insolence règne parmi les soldats et où la décence et la modestie sont inconnues ? Nous sommes prisonnières d’une armée dont le général est le protecteur des Tarquins. C'est pour eux que le roi Porsenna a entrepris cette guerre. Alors, comment pouvez-vous espérer un refuge sûr chez un prince où le violeur de Lucrèce a trouvé asile et son défenseur ? Non, mes compagnes, ne vous bercez pas d'illusions. Le sang de cette malheureuse n'a pas empêché ce prince de s'opposer à la révolte que les Romains ont exercée. Nos larmes ne le pousseraient pas à nous protéger de ceux qui voudraient nous offenser. Vous pourriez me dire que nous lui avons été données en otage et que nous avons sa parole. Mais sachez, mes compagnes, que toute action faite pour l'honneur ne peut être que glorieuse. Nous ne voulons pas rompre la paix, nous ne voulons pas vaincre le roi Porsenna. Nous voulons simplement éviter la honte et l'offense et ainsi mourir dans le même honneur que nous avons vécu. Allons donc, Romaines, tant que nous en avons l’occasion. 127