porté la couronne que le hasard a placée sur ta tête. Si les choses avaient suivi l'ordre habituel, au lieu d'être mon juge, j'aurais pu te compter parmi mes sujets et exercer de plein droit sur toi le pouvoir que tu m’usurpes. Cependant, étant donné cette naissance qui m'obligeait à une morale exceptionnelle, dès qu’Hyrcan m'a sommée d'être ton épouse, connaissant l'obéissance que je lui devais, sans tenir compte de l'inégalité entre nous, je t’ai accepté comme mari. Tu sais comment j'ai vécu avec toi, malgré le fait que mes idées étaient totalement opposées aux tiennes. Même si ton alliance était aussi honorable que la mienne était glorieuse, tu aurais pu avoir davantage de complaisance et de témoignages d'affection de ma part. Depuis lors jusqu'à la perte d'Hyrcan, qu'ai-je fait ? Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je pensé de mal à ton égard ? Rien, si ce n'est que je n'ai pas pu me réjouir de tes victoires, car elles étaient mauvaises pour mes parents. Même si j'ai un cœur aussi grand que ma noble naissance, je n'ai pu m'asseoir sur le trône de mes prédécesseurs qu'en versant des larmes, car je ne me sentais pas légitime et juste, du moins en tant que femme d'Hérode. Mais tu sais que, malgré ce sentiment que la raison et la nature me donnaient, j'essayais au moins de te cacher mes pleurs. À cette époque-là, je m'efforçais moi- même de te justifier dans mon esprit, et tant que tu n’avais que de l'ambition sans cruauté, je t’approuvais plutôt que de t’accuser. Je qualifiais cette passion d'erreur des natures grandioses et de marque infaillible d'une personne destinée à accomplir de grandes choses. Combien de fois ai-je dit en moi-même que si la fortune t’avait donné des ennemis légitimes, tu aurais été le plus grand prince de la terre ? Combien de fois ai-je souhaité que cette grande et merveilleuse volonté qui t’anime, et ce cœur invincible qui te pousse à tout entreprendre t’aient porté à régner sur des peuples dont tu aurais pu être le conquérant, et non pas l'usurpateur ? Hélas ! Si tu connaissais tous les vœux que j'ai faits pour ta gloire, tu ne me croirais pas capable d'avoir voulu les mettre de côté et oublier les miens. Mais peut-être que c’est pour cette faute que le ciel me punit ? Cependant, je refuse d’avoir des regrets, et bien que je me trouve aujourd'hui en danger de perdre la vie, je ne peux pas m’en vouloir d’avoir préservé ta gloire par mes conseils lorsque, contre toute apparence, tu voulais te fier au traître Barzapharnès. Je ne te reproche pas cette confiance, je te la rappelle simplement pour te montrer que j'ai toujours fait tout ce que j'ai dû faire. Depuis lors, j'avoue que je n'ai pas toujours vécu de cette manière. Je n'ai plus caché mes pleurs, je n'ai plus étouffé ma voix. J'ai pleuré, j'ai crié, j'ai exprimé mes plaintes et mes regrets. Mais que pouvait faire de moins la petite fille d'Hyrcan qui venait de disparaître par tes ordres et par ta cruauté ? Que pouvait faire de moins la sœur d'Aristobule, que ton inhumanité avait fait périr pour consolider le sceptre entre tes mains ? Non, la patience aurait été criminelle en cette occasion. J’étais sans doute destinée au trône, mais je ne voulais pas y monter, car je ne pouvais le faire qu'en marchant sur les corps de mon grand-père et de mon frère. Ce trône était souillé de leur sang, il fallait au moins le laver avec mes larmes puisqu'il n'était pas permis de répandre le sang de leurs bourreaux. Hélas ! Quand je me 14