l'imagination de la poétesse que ta beauté, et en fin de compte, tes poèmes refléteront tellement bien le monde qu’ils seront confondus avec la réalité. En laissant de ta propre main quelques marques de ce que tu es, tu vivras pour toujours avec honneur dans la mémoire de tous les hommes. Ceux de notre époque qui t’auront soutenue passeront alors pour savants, et ceux qui ne l'auront pas fait pour stupides ou envieux. Cependant, je ne te conseille pas de te décrire, de raconter ta beauté, tes mérites et toutes les rares qualités qui sont en toi. Non, je ne veux pas imposer une telle chose à ta modestie. La poésie a bien d'autres privilèges. Tu n'auras pas besoin de parler de toi pour te faire connaître de la postérité. Il te suffit de parler avec élégance, et on te connaîtra amplement. Oui, Érinna, même si tu n'utilises ta plume que pour critiquer le mal de notre époque, on ne manquera pas de t’encourager. Considère donc une fois de plus à quel point la réputation fondée sur la beauté est faible et peu durable. Parmi ce nombre infini de belles femmes qui ont sans doute vécu dans les siècles précédant le nôtre, nous avons à peine entendu parler de deux ou trois seulement. Et pourtant, dans ces mêmes siècles, nous voyons la gloire de nombreux hommes solidement attestée par les écrits qu'ils nous ont laissés. Érinna, veille à ce que le temps, la vieillesse et la mort ne t’enlèvent que des roses et ne dérobent pas toute ta beauté. Triomphe de ces ennemis qui menacent toutes les belles choses. Montre-toi capable de soutenir la gloire de la féminité. Fais reconnaître à nos adversaires communs qu'il nous est aussi facile de les vaincre par la force de notre esprit que par la beauté de nos yeux. Dévoile ton jugement en méprisant les stupidités que les coutumes pourraient répandre sur ton initiative. Offre au monde entier les si belles œuvres de ton imagination, les si nobles exploits de ton esprit, les si grands résultats de ta mémoire et les si belles marques de ton jugement. Toi seule as l'avantage de rétablir la gloire de toutes les femmes. Ne néglige donc pas mes paroles, car si tu refuses de me suivre et que tu places toute ta gloire dans ta beauté, tu pleureras de ton vivant la perte de cette beauté. On parlera de toi comme si tu avais vécu à une autre époque, et tu réaliseras alors que j'avais raison de te dire aujourd'hui ce que je pensais déjà exprimer autrefois dans certains de mes vers : Les lys, les œillets, les roses, Leur éclat dans vos yeux se pose, Mais tout cela s'évanouira, Et vous, entièrement, on vous oubliera, À moins que, pour vaincre la Parque et la destinée, Vous embrassiez l'étude, immortel bouclier. 154