pourrais-je obtenir de lui que je n'aie déjà reçu de toi qui m'as offert des royaumes entiers, et qui me fais régner sur la plus grande partie de l'Asie ? Mais même s’il était vrai que j'aurais pu me résoudre à t'abandonner pour suivre son camp, quelle sécurité aurais-je pu trouver dans ses paroles ? Où sont donc les offrandes qu'il m'a envoyées pour s’assurer notre traité ? Où sont les territoires qu'il m'a restitués ? Quoi, Antoine, aurais-je pu me fier à la parole d’Octave ? Lui qui a publiquement déclaré la guerre contre moi à Rome, et qui me connaît plus sous le nom de cette célèbre Égyptienne, réputée davantage pour ses enchantements que pour sa beauté, plutôt que sous celui de Cléopâtre. Quoi, Antoine, aurais-je pu croire en lui ? Je me serais moi- même enchaînée ? Cléopâtre aurait-elle attaché de ses propres mains ses bras au char triomphal de son ennemi et de celui d'Antoine ? Par une imprudence et une ingratitude sans précédent, aurait-elle trahi un homme qui a lui-même trahi sa propre nation par amour pour elle ? Un homme qui est devenu l'ennemi de son pays par amour pour elle ? Un homme qui a renoncé à la sœur d’Octave plutôt que de l’abandonner, elle ? Un homme qui a partagé sa puissance avec elle ? Un homme qui a préféré ses propres intérêts à ceux de l'Empire romain ? Un homme qui lui a offert son cœur sans réserve ? Ah ! Non, Antoine, tout cela est improbable. Il suffit de voir tout ce que j’ai fait pour toi pour croire en mon innocence. Mais si je peux ajouter une autre raison, je dirais que tout comme nous n’oublions pas facilement les faveurs reçues des autres, nous n'aimons pas perdre celles que nous avons données. Et nous voulons rarement effacer par des insultes les bons services que nous avons rendus à quelqu'un. Alors, réfléchis s'il est possible qu'après avoir fait pour toi tout ce que j'ai fait, je souhaite moi- même dissiper ce souvenir de ton âme et volontairement semer la haine dans un cœur pour lequel j'ai fait tant de vœux et duquel j’ai tant pris soin. Car, si tu te souviens, mon cher Antoine, tu as davantage été ma conquête que je n'ai été la tienne. La renommée m'avait déjà donné un portrait de toi qui, m'inspirant de l'admiration, m'a poussée à vouloir triompher du vainqueur de tous les autres en triomphant de toi. Mes yeux ont remporté d’honorables victoires, et parmi leurs captifs, ils peuvent compter des Césars et des demi-dieux au charme desquels je ne me suis pourtant pas fiée. Ma beauté a été douteuse en cette occasion, je la croyais trop faible pour te conquérir. Et comme tu étais le plus magnifique des hommes, je voulais que l'amour entre dans ton cœur par l’émerveillement, et que le jour de sa capture ressemble plus à un jour de victoire qu'à un jour de combat. Donc, je voulais t’éblouir par la beauté de mes armes. Car, si tu te souviens, mon cher Antoine, le premier jour où je t’ai vu, je suis apparue dans un vaisseau dont la poupe dorée, les voiles pourpres et les rames argentées. Elles suivaient le son de divers instruments jouant ensemble. J'étais sous un pavillon tissé d'or, et comme je savais que ta lignée était divine étant descendue d'Hercule, j'avais, comme tu le sais, une tenue similaire à celle offerte à Vénus. Toutes mes femmes étaient magnifiquement habillées en nymphes, et une centaine d’anges autour de moi devaient leur présence à mon désir de te conquérir. Car enfin, mon cher Antoine, cette petite armée n'était faite que pour toi. Ce n'était donc pas le fruit 23