du hasard que tu aies été séduit. J'ai tout mis en œuvre pour cela, et tout ce que la beauté, l'esprit, l'adresse et la magnificence peuvent faire n'a pas été oublié en ce jour. Je sais bien que c'est une imprudence de te révéler toutes ces choses dans un temps si éloigné des beaux jours d'autrefois, mais cette journée a été si glorieuse pour moi que je ne peux jamais en oublier le souvenir. Et, en parlant raisonnablement, ce souvenir n'est pas inutile à ma justification. Comment penser que j'aurais voulu moi-même perdre ma conquête ? C'est un sentiment qui n'est jamais venu à l'esprit de tous les conquérants. Alexandre aurait sans doute préféré perdre la Macédoine que la Perse. Le royaume de Macédoine appartenait à ses ancêtres, mais la Perse était véritablement à lui, car il l’a conquise lui-même. Et pour la même raison, je me perdrais plutôt moi-même que de te perdre toi. Tu sais aussi que je n'ai pas été un vainqueur rigide. Les chaînes que je t’ai données n'étaient pas lourdes, mes lois n'avaient rien de rude, et la manière dont j'en usais aurait rendu difficile la reconnaissance du vainqueur et du vaincu. Depuis cela, qu'ai-je fait qui me fasse paraître suspecte ? Il est vrai que j'ai oublié ma propre gloire, mais c'était par amour pour toi. Oui, j'ai supporté d'être insultée à Rome, et bien que l'orgueil de ta nation, qui traite toutes les étrangères de barbares et toutes les reines d'esclaves, m'ait empêchée d'être ta femme, l'affection que j'ai pour toi a été si forte que je n'ai cessé d'être à toi. Oui, Antoine, je t’ai aimé plus que mon honneur et plus que ma vie. J'ai cru qu'il était juste d'aimer un homme digne du rang des dieux, et que la passion qui brûlait dans mon âme avait une cause si distinguée qu'elle pouvait justifier mes sentiments. Ainsi, sans considérer les malheurs qui m'étaient destinés, je t’ai aimé constamment depuis le premier jour où je te l'ai promis. Juge donc après cela si j'ai pu te trahir, ou pour être plus précise, si j'ai pu me trahir moi-même. Il est vrai que j'ai pris la fuite, mais si j'ai fui, cela n'a été que par amour pour toi. J'ai abandonné la victoire pour conserver ta vie, car tu m’es plus cher que ta gloire ou la mienne. Je vois bien que ce discours t’étonne et te surprend, mais permets-moi de te dire dans quel état se trouvait mon âme lorsqu’au milieu du combat, je t’ai vu couvert de sang et de flammes. La mort que je voyais partout me faisait craindre la tienne. Tous les javelots des ennemis semblaient ne s'adresser qu'à toi. Et de la manière dont mon imagination me représentait la chose, je croyais que toute l'armée d’Octave ne voulait abattre qu'Antoine. Il m'a semblé plus d'une fois que je t’avais vu entraîné de force dans les navires ennemis ou tomber mort à leurs pieds. Et bien que ceux qui m'entouraient m’aient assuré que mes yeux me trompaient et que la victoire était encore incertaine, que pouvais-je dire en ce lugubre instant ? Et quelle douleur ressentais-je ! Mon cher Antoine, si tu savais dans quel tourment se trouve une âme qui voit la personne aimée danser avec la mort à chaque instant, tu estimerais que c'est le plus effroyable supplice que l'on puisse jamais endurer. Mon cœur recevait tous les coups portés contre toi, j'étais captive à chaque fois que je croyais que tu l’étais, et la mort elle-même n'a rien d'aussi rude que ce que j'éprouvais en ce moment. Dans cet état désolant, je ne trouvais aucun remède 24