Tu as l'intention d'épouser l'aînée de mes filles, tandis que l'autre sera unie à ce second Alexandre. Depuis ce choix, tu as accompli tant de choses pour moi. Même lorsque j'étais captive, tu m’as traitée en reine et m’as appelée « mère ». Tu as toujours été là pour me consoler dans mes moments de douleur. J'ai vu ton chagrin lors de tes propres victoires, j'ai remarqué ta peine à la perte de Darius. Tu t’es occupé de ses funérailles et de son tombeau. Tu as risqué ta vie pour venger sa mort, punissant le traître Bessus qui l'avait tué. Tu as également récompensé ceux qui étaient fidèles à Darius. Aujourd'hui encore, tu le remets sur le trône en y plaçant son sang et le mien à travers Stateira. Mais ce qui est encore plus remarquable dans tout ce que tu as fait pour Darius, c'est que j'ai vu cet Alexandre, vainqueur de tant de royaumes, posséder suffisamment de morale pour ne pas succomber aux tentations et éviter de regarder la femme de Darius, de peur d'être séduit par sa beauté. Après cela, il faut admettre que tout ce qui peut être dit de toi est bien en dessous de ce que tu mérites. Tu incarnes à la fois la chasteté et le courage des héros qui t’ont précédé. Toutes les qualités se trouvent en toi de manière exceptionnelle. Dans ton amour, les aptitudes se perfectionnent et acquièrent un nouvel éclat. Ce qui serait considéré comme de la témérité chez les autres n'est qu'un simple effet de ton courage. L'excès de bonté ne peut être vicieux en toi. Tu donnes généreusement, sans excès, car tu ne mesures pas seulement les cadeaux que tu offres, mais aussi ceux que tu te fais à toi-même. Ainsi, les villes, les provinces, les richesses en or, les sceptres et les couronnes sont des choses qu'Alexandre peut donner sans être cupide. Comme il a reçu plus de faveurs du ciel que quiconque, il peut aussi donner davantage que tous les autres. Cette vérité t’est bien connue et tu la pratiques parfaitement. Après avoir conquis le monde entier et l'avoir offert à diverses personnes, lorsque l'on t’a demandé ce que tu te réservais pour toi- même, tu as répondu : « L'espérance. » En vérité, je suis souvent étonnée de voir que dès que tu as quelque chose en ton pouvoir, tu le confies à autrui, tout en continuant à donner sans relâche. Cette réflexion m'a fait penser qu'on pourrait dire qu'Alexandre est comme la mer : à peine a-t-elle reçu dans sa vaste étendue les contributions que lui apportent toutes les fontaines, toutes les rivières et tous les fleuves qu'elle les redistribue généreusement à d'autres parties du monde. Ce qu'elle enlève aux Persans, elle le restitue aux Grecs. En revanche, les naufrages qu'elle provoque ne l'enrichissent pas, ils appauvrissent quelqu'un pour accroître le bien-être d'un autre sans bénéfice pour le monde. Et sans rien garder de ce qu'on lui donne ou de ce qu'elle acquiert, elle fait constamment rouler ses vagues d'un mouvement égal. De la même manière, les choses que tu reçois de tes sujets, des tributs qui te sont rendus ou des conquêtes que tu réalises, tu les reçois d'une main et les donnes de l'autre. Même le butin que tu prends de tes ennemis ne fait qu'enrichir tes soldats. Ainsi, que ce soit en temps de paix ou de guerre, pendant la tempête ou le calme, tu fais également du bien à tous, sans le faire pour toi-même. Cependant, il y a cette différence entre la mer et toi : tout ce qui provient de la mer y retourne, tandis que tout ce qui 31