t’appartienne, et que te l’enlever sans raison serait injuste. Et si ces puissantes raisons ne le convainquent pas, supplie-le avec sincérité. Mais si tu ne parviens pas à le calmer, rappelle-toi ta parole et n'oublie pas de la tenir envers moi. Je vois bien dans tes yeux, Massinissa, que tu auras du mal à me rendre ce service. Je comprends bien qu’il te sera difficile de donner du poison à la personne à qui tu as offert une couronne, ton cœur et la liberté. Je sais que c'est une pensée douloureuse et qu'il sera éprouvant de voir les mêmes flambeaux qui ont éclairé mes noces illuminer mes funérailles, et que la main que tu m’as donnée en gage de ta fidélité sera celle qui fermera ma tombe. Mais finalement, toutes ces choses seront encore plus supportables pour toi que de me voir enchaînée. Ceux qui disent que la véritable sagesse consiste à faire preuve de témérité face aux événements malheureux et que se suicider pour éviter l’infortune revient à abandonner devant le destin ne comprennent pas la vraie grandeur de la royauté. Cette idée peut convenir aux philosophes, mais pas aux rois dont les actions doivent être des exemples de courage. S'il est possible de se donner la mort, cela devrait être réservé à éviter l'humiliation d'être privé de liberté. C'est une grande tragédie pour un roi lorsque ses sujets se révoltent, mais s'il envisage de se suicider à ce moment-là, je le considérerais comme un lâche, car il peut encore les combattre et les punir. Perdre une bataille est une grande fatalité pour un prince, mais comme on le voit souvent, ceux qui sont vaincus aujourd'hui peuvent devenir victorieux demain. Il faut rester fort et ne pas céder au désespoir. Enfin, face à des malheurs qui peuvent être surmontés dignement, il ne faut pas se tourner vers la mort, mais quand tout est perdu et qu'il ne reste plus que les chaînes ou la mort, il faut choisir de rompre les liens qui nous retiennent à la vie pour éviter la servitude. Voilà, Massinissa, tout ce que j'avais à te dire. Souviens-t’en et ne prête pas autant d'attention à ce que te dira Scipion. Rappelle-toi ta promesse et les paroles que je viens de prononcer. Ces paroles sont justes et raisonnables, et tu ne peux pas le contester. Alors, vas-y, mon bien-aimé Massinissa, va combattre pour ma liberté et pour ta gloire contre l'insensible Scipion. Je t’en prie, demande-lui s'il souhaite voir enchaînée une femme dont le regard a pu conquérir Massinissa après qu’il a refusé de regarder les belles prisonnières capturées lors de ses conquêtes. Qu'il craigne sa défaite lors de sa réclamation et que sa prétendue rigueur l'empêche de vouloir triompher de moi. Comme tu peux le constater, Massinissa, mon âme n'est pas troublée et je te parle avec beaucoup de calme. Je peux t’assurer que dans l'état où je me trouve, je ne regrette rien d'autre que d'être contrainte de m'éloigner si rapidement de toi. C'est sans aucun doute la seule chose qui peut encore toucher mon esprit, car après avoir vu mon pays dévasté, Syphax fait prisonnier, la couronne tomber de ma tête, et pire encore, je suis sur le point d'être captive de Scipion, après toutes ces choses, la tombe serait un refuge et un lieu de repos si je pouvais y entrer sans t’abandonner. Mais j'ai cette consolation dans mon malheur, ayant toujours voué une haine irréconciliable à la tyrannie des Romains, j’ai au moins l'avantage d’être captive d'un Numide et non d'un Romain. En plus d'être mon mari et mon 39