Aurélien triomphe encore de vous à chaque souvenir de sa victoire. Je suis sincèrement désolée, mes filles, de ne pas pouvoir vous transmettre la détermination nécessaire pour supporter les malheurs que je vous ai légués. Mais c'est le seul héritage que je puisse vous laisser en mourant, et je souhaite de tout mon cœur que cette qualité puisse passer de mon cœur au vôtre, afin que même si vous ne pouvez pas être des reines, vous puissiez au moins régner sur vous-mêmes. Si quelqu'un avait raison de désespérer à cause d'un excès du destin, j’aurais certainement dû le faire, car j’ai eu plus de gloire qu’aucune femme n'a jamais pu en obtenir. Ma détresse a également été la plus déplorable que l'on ait jamais entendue. Vous savez que de mon côté, vous pouvez compter parmi vos ancêtres les rois d'Égypte de la lignée des Ptolémées, et je suis descendue de la noble lignée de Cléopâtre. Mais hélas ! On dirait que la soumission qu'Aurélien me destinait est venue jusqu'à moi par droit de succession, et je n'ai fait que survivre à celle-ci. Pourtant, le destin m'a traitée avec encore plus d'inhumanité, car j'ai suivi un char que je pensais conduire et que j'avais fait construire dans le but de triompher de celui qui m’avait vaincu. Vous savez aussi que le début de ma vie n'a été rempli que de bonheur. Le vaillant Odénat, votre père et mon mari, après m'avoir donné la couronne de Palmyre, a voulu que je partage avec lui la gloire de ses conquêtes. Je peux dire sans prétention ni manque de respect à la mémoire de cet homme remarquable que s'il m’avait accordé plus de pouvoir de son vivant, cela lui aurait valu quelques feuilles de laurier supplémentaires à la couronne que la victoire lui avait posée sur la tête. Oui, mes filles, je peux dire sans offenser la mémoire d'Odénat que nous avons conquis ensemble tout l'Orient et, poussés par un sentiment honorable, nous avons entrepris de nous venger des Perses pour les indignités que l'empereur Valérien, captif de Sapor, endurait pendant que son ingrat de fils, Gallienus, s'abandonnait à toutes sortes de plaisirs. Pourtant, Odénat n'a pas manqué de renvoyer tous les prisonniers que nous avons faits lors de cette guerre. Nous avons conquis les meilleures villes de la Mésopotamie et Nisibe, que mon mari a asservi. Poursuivant notre victoire, nous avons défait une multitude de Perses près de Ctésiphon. Nous avons fait emprisonner plusieurs satrapes, et leur roi lui-même a pris la fuite. Presque toujours victorieux dans toutes les batailles où nous nous trouvions, la gloire a beaucoup vanté la vaillance d'Odénat, si bien que finalement Gallienus, poussé par la crainte plutôt que par la reconnaissance, en a fait un ami de l'Empire. Pour l'honorer davantage, des médailles ont été frappées où mon Odénat traînait les Perses captifs. Jusque-là, je n'ai connu que la joie. La victoire et le destin m'ont également favorisée. Mais hélas ! Puis-je le dire ? Mon Odénat ainsi que mon fils aîné ont été assassinés, et j'ai basculé d'une extrémité à l'autre, de la joie au malheur. Mes filles, c'est là que j'ai eu besoin de toute ma détermination pour supporter ce malheur. La perte d'Odénat est sans aucun doute ce qui a rendu moins douloureuse ma perte de liberté. J'ai eu plus de peine à suivre mon mari jusqu'au tombeau qu'à suivre le char d'Aurélien. Les funérailles d'Odénat ont fait couler beaucoup plus de larmes que la magnificence de la victoire qui a été célébrée en l’honneur de 42