ferme pour tenir à la fois un sceptre et une épée. J'ai pratiqué également l'art de régner et celui de combattre. J'ai su vaincre, et j'ai su utiliser la victoire. J'ai accueilli le succès avec modération, et même à une époque où ma jeunesse et la vulnérabilité de mon sexe auraient pu me rendre prétentieuse pour le peu de beauté qui se manifestait en moi, je n'ai pas aimé entendre et je n’ai pas écouté tous les flatteurs de la cour me décrire dans leurs vers avec des lys et des roses, disant que mes dents étaient des perles orientales, que mes yeux, bien qu'ils soient noirs, brillaient plus que le soleil, et que Vénus elle-même n'était pas plus belle que moi. Je vous ai raconté toutes ces choses, mes filles, et je me suis épanchée plus que nécessaire pour vous faire comprendre que pour toutes les actions de ma vie, je n'ai jamais eu de faiblesse. N'imaginez pas que j'ai échoué dans la situation qui exigeait le plus de courage, celle de m’avouer vaincue. Je l’ai surmontée tout comme j’ai surmonté toutes les autres situations similaires. Non, mes filles, je n'ai rien fait de toute ma vie qui me donne une plus grande satisfaction envers moi-même que d'avoir pu subir une défaite en gardant ma détermination. C'est indéniablement en ces occasions qu'il faut avoir une grande âme, et qu'on ne me dise pas que le désespoir est une qualité et la détermination une faiblesse. Non, l’immoralité ne peut jamais être intègre, et l’intégrité elle-même ne peut jamais être immorale. Qu’on ne me dise pas non plus que ce type de persévérance est plus approprié aux philosophes qu'aux rois. Sachez, mes filles, qu'il n'y a aucune différence entre les philosophes et les rois, à part que les uns enseignent la véritable sagesse et que les autres doivent la pratiquer. Les souverains doivent être des exemples pour leurs sujets, car ils sont observés par le monde entier. Il est donc essentiel qu'ils fassent preuve d’intégrité, qui est l'une des qualités les plus nécessaires aux princes, car c'est la plus difficile à maintenir. Le désespoir, qui pousse certains à prendre le poignard pour éviter la servitude, est souvent plus une faiblesse qu'une qualité. Ils ne peuvent pas affronter le destin lorsqu'il est hostile. Ce destin les attaque, et eux évitent le combat. Il les détruit, et eux coopèrent à sa volonté. Abandonner la victoire à ce destin changeant est une faiblesse indigne d'eux. Par des actions précipitées, sans toujours savoir ce qu'ils font, ils se libèrent de leurs chaînes en se libérant de la vie, ne connaissant que les douceurs de celle-ci sans en supporter l’amertume. Quant à moi, mes filles, je pense que quiconque a vécu avec gloire doit mourir le plus tard possible. La mort précipitée est souvent un signe de remords, de regrets et de faiblesse plutôt que de grandeur et de courage. Certains diront peut-être que je suis issue d'un sang qui ne devrait jamais porter de chaînes, que Cléopâtre n'ayant pas voulu accepter la victoire d’Octave, je ne devrais jamais accepter celle d'Aurélien. Mais il y a une différence entre cette grande reine et moi : toute sa gloire réside dans sa mort, tandis que la mienne réside dans ma vie. Sa réputation n'aurait pas été mémorable si elle n'était pas morte de sa main, et la mienne ne serait pas à son niveau si j'avais renoncé à la gloire de porter des chaînes avec autant de courage et de dignité que si j'avais vaincu Aurélien comme 45