Porcie à Volumnius Inutilement, Volumnius, mes parents t’ont choisi pour tenter de me convaincre de rester en vie après la perte que j'ai subie. Il est peu crédible que la philosophie qui a guidé l'épée de mon père Caton et qui l'a ensuite transmise à mon cher Brutus puisse me faire croire que la préservation de ma vie soit juste ou même possible. Non, Volumnius, dans l'état où je me trouve, je ne peux plus vivre et je ne suis plus tenue de le faire. Tu sais que cette philosophie que tu utilises contre moi ne m'est pas étrangère, et que l’honorable Caton, mon père, me l'a enseignée avec soin. Ne crois donc pas que la décision que je prends soit le fruit d'un esprit aveuglé par sa propre douleur et d'un désespoir déraisonnable. J'y réfléchis depuis longtemps et dans l'incertitude des choses, j'ai pris la résolution que j'exécuterai aujourd'hui. Toute autre que moi pourrait peut-être honorer les cendres de son mari en versant des larmes jusqu'à la fin de ses jours, mais la fille de Caton et l'épouse de Brutus doit agir différemment. Je suis convaincue que j’ai une âme trop distinguée pour mener une vie indigne de mes ancêtres et de l'honneur d'avoir eu pour père et pour mari deux des plus célèbres Romains de l'histoire. Car ceux qui vivent aujourd'hui ne sont plus de véritables Romains, ce sont les restes des esclaves de Jules César, ou plutôt ce sont des tigres enragés qui déchirent le sein de leur mère en dévastant leur patrie. Hélas ! Qui aurait pu croire que le peuple romain deviendrait l'ennemi de sa propre liberté, qu'il forgerait lui-même les chaînes qui l’attachent, qu'il mettrait sur le trône celui-là même qui a fait périr des millions d'hommes pour y parvenir ? Mais aussi qu'il serait capable de pleurer la mort d’un tyran, de le diviniser et de poursuivre comme un criminel un homme qui a risqué sa vie pour lui rendre sa liberté et qui méprisait même l'amitié de César ! Car Brutus aurait pu obtenir bien plus s'il avait accepté de se soumettre à la servitude. Ses chaînes auraient sans doute été plus légères que celles des autres citoyens, et avec un peu de prudence, il aurait pu être le conseiller de celui qui était le maître du monde. Mais Brutus était trop généreux pour fonder son propre bien-être sur les ruines de la République. Il savait que le devoir doit l'emporter sur tout le reste, qu'il ne devait rien à César. Étant né citoyen romain, il devait haïr le tyran et pour ne pas être ingrat envers sa patrie, il devait l'être envers César. En étant issu de la lignée du premier Brutus, il devait apporter son aide et sa valeur à la République opprimée. Cependant, après avoir accompli toutes ces choses, ce peuple lâche et insensé exile celui pour qui il aurait dû ériger des statues sur toutes les places publiques. Cette ingratitude extrême n'a toutefois pas ébranlé l’honneur de Brutus. Tu le sais, Volumnius, tout ce qu'il a fait pour la patrie, je ne te le dis pas pour te l'apprendre, mais pour utiliser le peu de vie qui me reste à parler de ses grandes réalisations et à te demander de les faire connaître à la postérité. Souviens-toi donc, Volumnius, que même si tous les Romains se sont montrés ingrats envers lui, il n'a jamais cessé de tout faire pour eux. Et quand ces lâches ont toléré non pas un, mais 52