celle de Caton qui, conservant son autorité de père, paraît me demander de quitter un lieu indigne de ma sagesse. Juge, Volumnius, si cette vision m'effraie et si je rencontre des difficultés à choisir l’un des deux chemins qui s'offrent à moi. D'un côté, j’observe ma patrie dévastée, toute la terre couverte du sang de nos amis, nos persécuteurs devenus nos maîtres, tous mes semblables réduits en esclavage, et moi vénérant les cendres de Brutus. Voilà, Volumnius, ce que je vois de ce côté-là. Mais de l'autre, je ne vois que du bien- être : mon père et mon mari qui m’attendent ; le premier me demande le fruit des enseignements qu'il m'a donnés et l'e, la récompense de l'affection qu'il m'a témoignée. Oui, noble Caton, oui, glorieux Brutus, je ferai ce que je dois faire en cette occasion et rien ne pourra m’en empêcher. Ne pense pas, Volumnius, que la volonté soit une chose que l'on puisse contraindre. C'est grâce à elle que nous ressemblons aux dieux, c'est un privilège que le ciel nous a accordé. Les tyrans ne peuvent la forcer, elle n'est pas sous leur domination, et quand on a une âme ferme et résolue, on ne change jamais les projets que l'on s'est fixés. Ne crois donc pas que les soins de mes parents puissent m'empêcher de mourir, et encore moins que tes raisons fassent douter mon esprit. Caton n’a pas succombé aux larmes de son fils, et je ne me laisserai pas toucher non plus par celles de mes proches ni par tes discours. Brutus, pour éviter l'esclavage, s’est donné la mort, ne serait-il pas plus logique et plus juste pour moi de mettre fin à ma vie ? Ma liberté m'est aussi importante que la sienne l'était pour lui, mais j'ai cet avantage et cette douceur dans la mort qu’il n’a pas pu avoir. Tandis qu'il ne pouvait être libre qu'en m'abandonnant, je n'ai qu'à le suivre pour conserver ma franchise. Tu vois donc bien, sage Volumnius, après tout ce que je viens de dire, que la mort m'est glorieuse, nécessaire et douce. Ne songe donc pas à m'en empêcher, car de toute manière, tes efforts seraient inutiles. Ceux à qui l'on a réussi à faire changer d’avis sur une telle décision désiraient sans doute qu’on les persuade. Secrètement, ils s'opposaient à cette volonté, et leur propre faiblesse était une garde assez forte pour préserver leur vie en sautant sur une occasion ou sur des excuses pour changer leurs opinions. Ce sont des gens qui voulaient s'amuser à proclamer leur mort afin qu’ils aient le loisir qu’on les empêche de se la donner. Mais pour moi, cela ne sera pas comme ça. Je ne cache pas ma volonté, je ne veux pas tromper mes gardes, je leur dis franchement que je leur échappe et que la mort me délivrera de la peine que je ressens. Oui, Volumnius, je m'en vais mourir. Grand Caton, noble Brutus, venez recevoir mon âme. Voyez, chères ombres, si je suis digne du nom que je porte. Approuvez-moi pour ce que je suis, car si j’ai raison, ma mort sera digne d'une véritable Romaine. Vois, mon cher Brutus, si je tremble en cette dernière heure, vois mon extrême impatience d'être auprès de toi. Tu le vois, noble Caton, que l'on m’a enlevé les poignards, les poisons et tout ce qui pourrait me servir à mettre à exécution ma résolution. Ma chambre est devenue ma prison, il n'y a ni précipice ni corde pour moi, et j'ai des gardes qui m'observent. Mais en me retirant toutes ces choses, on ne m'ôte pas la volonté de mourir ni le souvenir de 55