crois que dans ton âme, l’amour l’emporte. Je veux même croire, pour me consoler dans mon malheur, que si tu avais le choix, tu préférerais ma compagnie à celle de l’Empire romain. Mais cette raison d'État, qui justifie tant de crimes et de violences, ne permet pas à l'invincible Titus, après qu’il a risqué sa vie autant de fois pour assurer le bien-être des Romains, de songer à son propre bonheur. Je pensais que l’amour, lorsqu'il régnait dans un cœur sage, lui inspirait encore plus d’ardeur pour acquérir la gloire. Cependant, je vois bien que ce n'est pas l'opinion de l'empereur ni du Sénat, et je me suis trompée dans mes suppositions. Si tu avais choisi une personne totalement indigne de toi comme objet de ton amour, leurs réclamations seraient plus supportables. Et je mériterais le traitement que je reçois si j'avais communiqué à Titus des sentiments bas et honteux. Mais, étant donné mon rang, on ne peut pas te reprocher d'avoir entrepris un mariage inégal. Alexandre le Grand n'a pourtant rien fait de déshonorant lorsqu'il a épousé Roxane, bien qu'elle fût captive, étrangère et simple fille de gouverneur. Cette erreur qu'il a commise par amour ne l'a pas empêché de jouir de la renommée de ses victoires ni d'être classé parmi les plus glorieux héros. La faute qu'on te reproche n'a cependant rien de comparable à celle-ci, car je suis la petite-fille de Mariamne, et parmi mes ancêtres figurent tous les anciens rois de Judée. De plus, je porte une couronne qui devrait empêcher le Sénat de me traiter si cruellement. Oui, Titus, la Perse a eu ses propres héros aussi glorieux que Rome : les Jonathan, les David et les Salomon, dont je descends, ont peut-être accompli des exploits aussi grands que ceux de Romulus, Numa Pompilius et César. Les somptueux et précieux trésors que tu as pris dans le temple de Jérusalem et dont tu t’es orné ont suffisamment montré à Rome la grandeur et la magnificence de mes ancêtres. Si j'étais issue d'une lignée ennemie de la République, comme Sophonisbe, fille d'Hasdrubal, on aurait raison de craindre qu'après avoir vaincu le vaillant Titus, je ne rende ma victoire sinistre pour le Sénat et le pousse à des actes contraires à son autorité. Mais je suis de la lignée habituée à recevoir des couronnes des empereurs romains. Le grand Agrippa, mon père, a reçu le royaume de Batanée et celui de la Trachonitide de la générosité de Caligula, tout comme il a obtenu celui de Chalcis, dont je porte le sceptre aujourd'hui. Mon frère, Agrippa le second, a également bénéficié de la faveur de ton père l’empereur Vespasien, et sa mort a suffisamment montré qu'il en était digne. C'est en ta présence que mon frère a perdu la vie en tentant de convaincre les habitants de Gamala de se rendre et de reconnaître l'autorité de Vespasien. Seulement, au lieu de me consoler de sa perte, on me bannit comme une criminelle. On dirait que j'ai cherché à renverser l'Empire. À peine ont-ils trouvé un endroit où m’exiler qu’ils m’y envoient. Pourtant, tu sais que je n'ai commis aucun crime, excepté celui de recevoir l'honneur que tu m’as fait en m’épousant. La conquête innocente que mes yeux ont faite de ton cœur est ce qui me rend coupable. Les Romains veulent que tu sois leur captif et non le mien. Ils veulent ordonnancer ton amour et ta haine à leur guise, choisir une femme pour toi selon leur fantaisie et non selon tes désirs. Je sais que mes larmes peuvent paraître suspectes à ceux 58